Bienvenue sur mon blog. "Irving Rutherford", c'est mon pseudo, et c'est aussi un roman feuilleton qui paraît tous les mardis. Je sais pas vous, mais moi je déteste les écrivains qui racontent leur vie, même si c'est un peu ce que je fais. Alors du coup j'arrive pas à m'empêcher de rajouter deux ou trois trucs en plus, pour agrémenter le quotidien.
Si c'est votre première visite, je vous invite à lire un épisode ou deux. Chacun peut se lire indépendamment, mais le tout est relié par une continuité, et les vieux épisodes sont gardés dans les archives.
Je souhaite une bonne lecture aux nouveaux lecteurs comme aux habitués.


14 septembre 2010

52. Irving a gagné


Xavier et moi sommes devenus amis. Malgré son côté prophète bourru, j’ai appris à le connaître, et même maintenant qu’il est reparti dans son époque, il me rend encore visite de temps en temps.
Il est retourné dans le futur peu après que les militaires aient cédé la capitale aux révolutionnaires, en se plaignant d’avoir échoué dans sa mission. Mais les choses sont bien vite rentrées dans l’ordre quand la communauté internationale a décidé de finalement intervenir sur le cas français, pour contrer ce qui a été qualifié de « triomphe de l’inconscience ».
En quelques semaines, les soldats fraîchement débarqués ont repris la capitale, et la révolte a été étouffée dans l’œuf. Je pense que dans quelques années, on verra émerger une génération de nouveaux soixante-huitards qui se vantera d’avoir essayé de changer le monde.
Tout est redevenu comme avant, ou presque. Quelques lois sociales ont été passées, ou rétablies, mais les mesures n’ont duré qu’une année ou deux. Jusqu’à ce que le nouveau président explique à ses électeurs qu’à un moment il faut bien être réaliste.
Je suis tout sauf un meneur d’hommes. L’armée des perdants est redevenue raisonnable, et aujourd’hui les pays connaît une paix sociale sans précédent. Mais je continue à me faire appeler Irving Rutherford.
Vincent a fini par quitter le pays. Il est devenu un artiste assez reconnu outre-Atlantique. Un jour, alors que je n’avais plus de nouvelles de lui depuis des mois, il m’a appelé pour me demander de lui envoyer mon manuscrit, pour le faire publier. Quand je lui ai demandé pourquoi il ferait une telle chose, il m’a répondu laconiquement « Parce que je peux ».
A l’heure actuelle, mon histoire de chevalier a été traduite en anglais et distribuée à petit tirage. Les ventes s’annoncent très mauvaises, mais Vincent m’a quand même réclamé un deuxième livre.
Incapable d’écrire un autre roman, je lui ai envoyé ce vieux manuscrit rescapé de l’incendie de mon appartement, sur lequel je passais mon temps à cracher autrefois. Vincent, en le relisant, m’a annoncé que je n’avais jamais rien écrit de meilleur.
-Je veux bien te croire, ai-je dit avant de raccrocher.
Et le record tiendra sans doute toute ma vie. Même si on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve.
Martine est revenue à peu près en même temps que ma tumeur. J’ai d’abord appris pour la tumeur, et alors que je rentrais chez moi après une longue journée de travail (j’ai retrouvé du travail), elle était là à m’attendre devant chez moi. Je n’ai aucune idée de la façon dont elle m’a retrouvé.
Elle voulait qu’on se remette ensemble, mais quand je l’ai prise dans mes bras j’ai pensé à la tumeur, et j’ai pensé à cette vie faite de compromis. J’ai relâché mon étreinte et j’ai décliné sa proposition. J’ai ensuite passé plusieurs nuits sans dormir.
J’ai fini par retrouver le sommeil, et je suis revenu à ma petite routine. J’ai essayé d’écrire une ou deux nouvelles, que je n’ai pas réussi à terminer. J’ai changé de boulot, pour rompre la routine.
Je me suis fait faire un tatouage. Le dernier. J’ai fait écrire « Gagné » sur ma poitrine. Parfois je croise dans le miroir ce tatouage rescapé qui proclame « Chaque jour sera d’or », et j’ai le réflexe de le gratter, comme s’il pouvait partir. J’essaye d’économiser pour me payer une opération au laser, mais la majorité de mon argent est englouti dans ma tentative de me reconstituer une collection de bandes dessinées, et dans mes frais médicaux.
Quand Xavier passe me voir, il me rappelle que je suis encore jeune. Il me raconte que le futur ne semble pas bouger d’un pouce ces temps-ci, et que je devrais en profiter pour m’offrir des vacances.
-Le futur est putain d’immuable, ai-je remarqué un jour avec une pointe d’aigreur.
-Juste pour les gens comme toi.
Je suis parti passer une semaine chez Vincent et ça m’a fait un bien fou. Même s’il n’a pas eu beaucoup de temps à m’accorder, il a été très hospitalier, et m’a présenté des filles susceptibles de me plaire. Je suis rentré en France les bras chargés d’exemplaires invendus de mon premier roman édité.
Je l’ai relu une fois chez moi, et je me suis couché tard malgré le décalage horaire et la journée de travail qui m’attendait le lendemain. Avec le recul, j’ai trouvé la fin plutôt optimiste :
« Paxton Fettel tira trois cent pièces d’or de son équipement, et deux cent de plus de son épée. C’est vêtu tel un vagabond qu’il quitta la petite bourgade accueillante. Il passa par la forêt sans rencontrer un seul brigand.
-Me voici devenu le roi des moins que rien, jubila-t-il.
La vie de chevalier avait été lourde et contraignante. L’abandonner de la sorte le fit exulter pendant plusieurs jours. Il avait de l’argent d’avance, et aucune responsabilité. Il passa même devant un groupe de gobelins en cavale sans lever le petit doigt.
Les jours passèrent, d’auberge en auberge, et il découvrit que le monde ne se limitait pas aux vastes terres de Ragnar. Au-delà des montagnes, à l’est, l’attendait le peuple aquatique rescapé du grand déluge. Accessible par bateau, au nord, se trouvait la terre des géants.
Sans s’en rendre compte, il perdit jusqu’à l’envie de se battre. Certains soirs, au coin du feu, il se figurait les vieux rois avachis sur leurs trônes, l’épée pendante et la couronne en décrépitude, qui écoutaient les bardes d’une oreille distraite. Lui, le roi des pâturages et des campements provisoires, s’endormait chaque soir au son des tavernes adjacentes.
Il finit par manquer un jour d’argent. Il racheta une vieille ferme délabrée pour une bouchée de pain, et se mit en tête de cultiver juste assez pour se nourrir. Et puis bordel, il serait heureux !
Ses débuts d’agriculteur ne furent pas faciles, et sa première récolte fut si maigre qu’il du solliciter la générosité de ses voisins pour passer l’hiver. On aimait bien Paxton dans le voisinage, même si certains essayaient parfois de lui faire comprendre à mots couverts qu’un chevalier ne fera jamais un bon paysan, et vice-versa.
-Honnêtement, je ne vois pas plus de noblesse dans la chevalerie que dans le travail des champs, raillait souvent Paxton.
« Ce n’est pas une question de noblesse, mais de tempérament. On ne se force pas à être quelqu’un d’autre. » lui répondit une fois Gargan l’édenté, ce qui mit Paxton dans une rage folle.
Les récoltes se succédèrent, et s’améliorèrent quelque peu. On voyait parfois passer un voile maussade sur les yeux de Paxton, aussi fugitif qu’inexplicable. Et parfois, lorsqu’il voyait des enfants jouer avec des épées en bois dans les champs, il semblait faire un effort pour reporter sa concentration ailleurs.
Un jour, il rencontra à la fête du village son ancien ami Morgados, qui ne le reconnut pas au premier regard. Paxton fut forcé de lui expliquer qu’il avait renoncé à la chevalerie pour vivre plus simplement.
-Plus simplement que quoi ? fit Morgados, surpris.
Ils discoururent longtemps sur l’utilité de la régulation des gobelins, et la vie d’homme libre. Les deux compères burent quelques verres, et rentrèrent en chantant jusqu’à la ferme de Paxton. Au petit matin Morgados reprit la route.
Paxton Fettel ne travailla pas ce jour là. Il resta assis sur une chaise devant sa porte, et regarda le soleil grimper et descendre. Il se laissa pénétrer par les champs et leurs ressources inépuisables, et faillit verser quelques larmes en se remémorant certains combats épiques qu’il avait mené.
Il ne mangea pas, ne prononça pas un mot, mais sembla passer sa journée à faire de longs adieux à quelque chose ou quelqu’un avec qui il n’était pas vraiment intime. La lumière déclinant, ses traits s’assouplirent pour se charger d’une nostalgie un peu enfantine, qui fit sourire les paysans du coin.
Certaines personnes paraissent un peu étranges.
La nuit tombée, Paxton s’étira, puis alla ranger sa chaise à l’intérieur. Il ressortit une dernière fois pour contempler la plaine assoupie, et prit sa décision. »

FIN

9 septembre 2010

51. Seul en piste (2)

-Le futur, c'est le seul truc auquel tu penses, c'est pour ça que je suis là. Tu en parles tout le temps, du futur. Tu rabâches sur les choses que tu voudrais faire, que tu devrais faire, et au final tu reportes. Et tu sais pourquoi tu les reportes ? Parce que tu aimes l'idée d'être une personne en devenir. Tu te réjouis en voyant le chemin qui reste à parcourir. Le futur, putain, tu l'aimes tellement...
Je sais pourquoi tu pleures, et tu le sais aussi. Aujourd'hui il n'y a plus de futur. La seule perspective qu'il te reste, c'est la fin de la journée, et au delà que dalle. Je suis venu te parler du vrai futur.
-Tu as fini ?
-Le vrai futur s'éloigne, continue Xavier.
Roger a déjà dit ça avant lui. Combien d'autres encore ? Je ne suis pas d'accord, dans tous les cas. Je viendrai à bout de cette journée, et il y aura un après.
Xavier se met à m'expliquer que dans le futur dont il vient, j'ai réussi à empêcher la catastrophe qui se produit aujourd'hui; mais ça aussi je le savais déjà.
Je sèche mes larmes et ravale ma tristesse, pour un temps. La fumée se dissipe peu à peu, révélant un champ de bataille vide, parsemé de cadavres, dont celui d'un serpent géant. Même si j'y ai participé à ma manière, j'ai l'impression d'arriver après la bataille.
Xavier avance que nous devrions nous remettre en route, et aller affronter Irving Rutherford à la maison de la Radio. Encore une chose que je savais déjà.
Je secoue mon corps, m'ébroue comme un chien mouillé pour me débarrasser de l'épaisse masse gélatineuse dont je suis couvert. La fatigue me tourmente plus que les regrets ou la peur. Je voudrais simplement m'allonger et dormir, et quelque chose me dit que si je ne le fais pas bientôt, je ne serai plus jamais en phase avec ce qui m'entoure. Que dans quelques heures j'oublierai même qui est réellement Xavier.
Mon compagnon le voyageur temporel ramasse une mitraillette sur le corps d'un soldat tombé au combat, et me suggère de faire de même. Quand je refuse poliment, il me demande avec ironie si je préfère les épées. Un nouveau sanglot me remonte dans la gorge quand je réalise que c'est lui qui m'a appris l'escrime.
Nous nous remettons en route. Je passe mon temps à me remettre en route. Je m'arrête jamais et ça aussi ça me fatigue. Dans quelques heures je cesserai de me plaindre.
Je traverse un long chemin geignard et nombriliste, qui touche à sa fin. J'ai essayé de devenir adulte, mais maintenant, au point où j'en suis, je me contenterai de rester jeune. De sortir boire des verres avec des amis et d'aller au cinéma. Vivre de petits boulots me suffirait, sans que j'espère quoi que ce soit d'autre, et sans que cela me peine non plus. Perdre mes gallons et redevenir un simple troufion dans l'armée des perdants.
Honnêtement, j'aurais voulu être un homme meilleur, mais mon échec dans ma tentative pour y parvenir ne m'affecte plus vraiment.
-Allons exploser la gueule de ce mec, dis-je.
Nous longeons la Seine vers les beaux quartiers, qui eux non plus n'ont pas été épargnés par les bombardements. A peine si les avions ont eu la délicatesse de préserver la tour Eiffel. Lorsque parfois un obus tombe un peu trop près de nous, Xavier sursaute et se demande à haute voix à quel moment tout a pu merder à ce point. Je finis par lui répondre qu'auparavant je croyais que ça avait commencé quand les gens ont voté à droite aux dernières élections, mais que j'ai dorénavant compris que les gens ont pratiquement toujours voté à droite.
-Il n'y a pas de moment précis, dis-je. Ça se fait petit à petit. Je vois même pas pourquoi tu es revenu aujourd'hui, parce que c'est pas un jour plus crucial qu'un autre.
Il cogne du pied dans une canette vide, et l'envoie valser devant nous, tellement loin que je la perds de vue. J'ai brusquement envie de courir après pour la rattraper, en criant « Reviens ! » comme l'abruti que je suis.
-Un peu d'amour propre, me conseille Xavier, qui a toujours su lire les pensées.
-C'est pas mon fort.
Et pourtant, en le disant, je me rends compte que j'arrive plus ou moins à me supporter ces jours-ci. Je me dis que ça va durer.
Nous abordons la maison de la Radio par l'entrée principale, éventrée par une roquette. Le hall d'accueil est recouvert par une poudre grise, faite de briques réduites en cendres. Des câbles arrachés derrière un bureau témoignent du vol des ordinateurs.
-C'est grand, remarque Xavier en jetant un coup d'œil au plan du lieu.
-On va se séparer.
Il rechigne face à ma proposition. Il argumente, essaye d'imposer son point de vue, mais je reste catégorique. Finalement, il part de son côté, suivant un long couloir, en me disant qu'il me retrouvera plus tard.
-Je le sais bien.
Je me laisse glisser le long d'un mur, pour m'asseoir en tailleur. Je frotte mes mains sur mon visage, puis reste quelques secondes à fixer le sol, les yeux et la tête vides.
Il n'y aura pas de final grandiose. Irving me trouvera, ou je le trouverai, mais rien ne presse. Nous sommes chacun deux pions sur l'échiquier, et tout ce que je fais là c'est m'occuper de mes histoires personnelles, qui n'auront aucune incidence sur rien.
Je me lève et vais déambuler dans les couloirs. Je passe devant le studio d'enregistrement d'une de mes émissions préférées, qui a miraculeusement été épargné par les pillages, et cela suffit à me faire plaisir. Brusquement, un déclic se fait dans ma tête.
Je me mets en quête du studio de France Info, sachant qu'Irving s'y trouve. Je le sais parce que c'est une idée que j'aurais eu, même si j'y aurais renoncé. Plus grand monde n'écoute la radio en temps normal, alors ces temps-ci...
Sans m'en rendre compte, je commence à courir dans la maison de la Radio, priant pour ne pas croiser Xavier, et pour en finir vite et aller me coucher. Je sillonne le grand bâtiment vide, enflammant parfois la moquette lorsque je cours trop vite.
Je brûle pas mal de trucs, mais je me console en me disant que si je ne fais rien, l'autre connard finira par incendier le monde entier.
Je débouche chez France Info. Je m'arrête devant la porte pour reprendre mon souffle, en me donnant des petites claques sur le visage pour me réveiller. Je sens la présence de mon jumeau maléfique à travers le mur, plus forte que jamais. Elle m'appelle et me nargue, et si j'étais un peu moins peureux j'entrerai tout de suite pour affronter mon destin.
Mais je reporte encore un peu. J'ouvre une fenêtre pour respirer l'air frais, et fumer une cigarette imaginaire. Je réalise avec stupeur que ma dernière tentative pour arrêter la clope s'est avérée fructueuse. Bercé par le vent frais qui aspire avec lui les ondes maléfiques provenant du studio d'enregistrement, je me demande pour la première fois depuis longtemps ce que je ferai demain.
La porte s'ouvre, et Irving fait irruption dans le couloir. Instinctivement, je forme une petite boule de feu entre mes doigts, que je lance sur lui. Il bondit en l'air, et esquive mon projectile pour aller s'accrocher au plafond comme une araignée.
-Bordel, mais je pourrai jamais me débarrasser de toi ? me demande-t-il.
-Tu prends tout à l'envers, mon pote.
Je jette une deuxième boule de feu, qu'il esquive encore en se laissant tomber pour m'écraser son talon sur le front. Je tombe à la renverse, et il profite que je sois à terre pour me rouer de coups. Je sens un léger craquement au niveau d'une côte, et maudit mon jumeau maléfique pour m'avoir cassé un os qu'on ne peut pas plâtrer.
Il me soulève à bout de bras, et je me débats quelques instants, avant qu'il ne me projette contre un mur, qui se casse sous la violence du choc. Je roule par terre, et tousse à cause de la poussière de brique. Cette fois j’évite de faire l’inventaire de mes os bisés.
Je vole à sa rencontre, la tête la première dans son ventre, et il pousse un cri étouffé, signe qu’il n’arrive plus à respirer. Je l’attrape par le col et lui colle un coup de genou dans le nez. Sa main agrippe mon visage, et des griffes lui poussent qui m'entaillent jusqu’au sang, mais je ne lâche pas prise et lui donne un autre coup.
Il finit par retrouver son souffle, et attrape mon pied pour me projeter en l’air, avant de me rabattre violemment sur le sol. Il recommence l’opération plusieurs fois, se servant de moi comme d’une massue pour démolir un obstacle imaginaire.
Je roule sur le dos, mais il est obstiné et bloque mes bras avec ses genoux pour m’immobiliser. Il entreprend ensuite de me démolir le visage à coups de poings, et me casse une ou deux dents.
Haletant, ruisselant de sueur, il finit par sortir un revolver, qu’il arme avec un bruit métallique strident. Complètement sonné, son image me paraît lointaine, et je le distingue vaguement pointer son arme sur mon front. Sans réfléchir, je lui crache un long jet de flammes au visage, et il me lâche pour aller se rouler par terre dans un hurlement de douleur.
-Tu connais l’écrivain guerrier ?
Il ne me répond pas. Nous restons allongés quelques instants, épuisés. Quand il me propose une petite pause, je lui rétorque que de toute manière ce combat est gagné d’avance pour moi, puisqu’il sort directement de mon imagination.
Une grande tristesse s’empare de moi. Je jette un coup d’œil à mon jumeau maléfique, qui a les mains posées sur son visage brûlé et ensanglanté. J’y vois mon propre reflet.
-Personne n’écoute plus la radio, dis-je. A part les riches et les bricoleurs.
-Et les militaires, sanglote-t-il.
Subitement, tout s’éclaire. Un vague sentiment de compassion s’empare de moi, en regardant cet autre moi-même déchu qui s’occupe lui aussi de ses histoires personnelles. Au fond je n’ai jamais pris le temps de le connaître.
-Disparais.
A peine ai-je prononcé ces mots qu’Irving part en fumée. Même si je sais que c’est passager, j’ai les idées claires. Je sais pour un temps qui je suis, et pourquoi je suis ici. Je sais ce qui me reste à faire.
Je me relève et pénètre dans le studio, dont Irving avait déjà allumé tous les appareils. Je vais jusqu’au micro, et hésite une seconde, avant de regretter d’avoir hésité.
-Je suis Irving Rutherford, dis-je calmement. Les rebelles ont pris toutes les places fortes de la capitale, comme vous pouvez le constater. Je demande aux forces armées une reddition immédiate, et je promets qu’aucun mal ne leur sera fait. C’est fini. Nous avons gagné.
Je coupe le micro et m’allonge par terre, en fermant les yeux. Je fais des efforts pour ne pas m’endormir. Mes idées recommencent petit à petit à perdre leur clarté, et je retombe progressivement dans ce monde obscur que je connais si bien. Je me demande un instant si ce que j’ai accompli aujourd’hui était sensé.
La voix d’un homme me tire de ma rêverie. J’ouvre les yeux, et le découvre qui m’observe avec curiosité. Quand je lui demande ce qu’il fiche ici, il me répond qu’il s’adapte à l’air du temps. J’essaye d’ignorer sa remarque bizarre, et lui demande son nom.
-Xavier, m’informe-t-il.
-Irving.


Note : Réécris tout depuis le début

Prochainement : Irving a gagné

1 septembre 2010

50. Seul en piste (1)


Le nord m'appelle, sans que je sache pourquoi. Ça fait quelques temps déjà que je ne prends plus de décisions réfléchies. Je me dirige simplement en direction des bombardements, en quête du champ de bataille où les choses importantes se passent.
L'épée à la main et la peur au ventre, j'avance inexorablement vers la Seine, à la recherche d'un sens à donner à mes actions. Rien de ce que j'ai vécu jusqu'ici n'a réussi à me mettre sur la bonne voie, ni même sur une voie quelconque.
Je suis le chômeur qui t'emmerde. Je suis l'électeur qui ne vote jamais pour celui qui se fait élire. Je prends des crédits sur trente ans, et j'espère un monde meilleur sans pour autant ériger des barricades. L'armée des perdants est composée de fantassins maladroits et peu convaincus.
Enfin merde, quand est-ce qu'on y arrivera ? Je suis pas plus impatient qu'un autre, mais ça commence à bien faire. Il faudrait peut-être faire quelque chose de nos vies.
La fumée a envahi la ville, et me cache le ciel. Les incendies autour de moi ne produisent plus que de la noirceur, parce que tout a déjà brûlé. Je me dis que si j'atteins la Seine j'y verrai un peu plus clair.
Je remonte le boulevard en ignorant les protestations des bâtiments, et les pans de murs qui s'écroulent. Je ne suis pas revenu pour faire du tourisme. J'ai un fils de pute à descendre, et j'en viendrai à bout même si c'est la seule chose bien que je dois accomplir dans ma vie.
De ma faute ?
La ville tremble comme après un long hiver. La fumée est suffocante, et je me fie au trottoir que je longe pour m'emmener vers des jours meilleurs. Je range mon épée dans son fourreau, pour ne plus avoir l'air du connard qui fonce sabre au clair, sans réfléchir.
Peut-être que c'est à ce moment, quand je me préoccupe de la manière dont je fais les choses plutôt que pourquoi je les fais, que je suis plus écrivain que je ne l'ai jamais été. Ou peut-être pas.
Je débouche enfin sur la Seine, et obtiens une vue un peu plus dégagée. Des avions sillonnent l'altitude comme des harpies, trop hauts pour qu'on ne les entendent. Ils larguent ça et là des feux d'artifices qui n'émerveillent personne. Un régiment d'hélicoptères arrive par l'ouest, longeant le fleuve et dissipant la fumée.
Ils semblent écarter les nuages bas qui jalonnent les toits des immeubles, et viennent cracher sur le Pont Royal des hordes de soldats. Des lianes jaillissent des engins, du long desquelles se laissent glisser les hommes. A peine ont-ils touché le sol que chacun va déjà poser des sortes de petits transistors aux quatre coins du pont.
Puis, abandonnée par ses anges d'acier qui s'en retournent déjà par là où ils sont venus, la petite troupe déserte le pont en quatrième vitesse, se réfugiant de l'autre côté de la rive. J'aperçois vaguement une silhouette au loin qui déballe une petite mallette, et appuie sur un bouton si gros que j'arrive à la distinguer malgré la distance.
Je murmure un « Non » étouffé.
Le Pont Royal explose de part en part, projetant des débris de pierre si haut dans le ciel qu'ils semblent y rester suspendus. Puis une pluie de pierre s'abat dans la Seine, et un peu sur la rive aussi. Des colonnes d'eau se dressent pour s'écrouler immédiatement.
Les militaires sont déjà rentrés dans le Jardin des Tuileries. Je me mets à courir le long du quai, pour rejoindre la passerelle piétons quelques centaines de mètres plus loin. Franchement, s'il faut pas être con, vu le nombre de ponts qu'il y a à Paris, d'en faire sauter qu'un seul.
Je commence à entendre des coups de feu venant d'en face. Je m'engouffre sur la passerelle à toute allure, la main sur le pommeau de l'épée, persuadé comme un abruti que c'est mon heure.
Dans les Tuileries la bataille fait rage. La plupart des révolutionnaires qui font face à l'armée ont le visage masqué ou cagoulé à cause de la fumée environnante. Des cocktails molotovs répondent aux grenades militaires, et ils mesurent leurs fusils de chasse aux mitraillettes.
Je me fous de savoir qui va gagner la bataille. En me faufilant derrière une haie, je scrute le champ de bataille du regard, à la recherche d'Irving Rutherford. Je cherche le dragon à pourfendre qui fera de moi un véritable chevalier.
Aucun des deux camps ne gagne du terrain. C'est une bataille qui n'a rien de mythique ou de grandiose. Elle est vieille comme le monde, et continuera encore des millénaires. Ce n'est jamais sur le terrain que les guerres se jouent.
J'aperçois Sancho qui charge à la tête d'une colonne. Ses homme le suivent en criant, avec une confiance effrayante, et viennent grossir les rangs des guérilleros de fortune. Les militaires font grise mine, et cèdent mine de rien quelques pouces de terrain. Il n'en faut pas plus pour que la bataille penche définitivement en faveur des indisciplinés.
Je sors de ma cachette, et dégaine mon épée. Je fends la fumée pour aller à la rencontre du confrère d'Irving Rutherford. Je pousse les personnes sur mon passage, hésitant à donner des coups d'épée, mais préférant la réserver pour Sancho.
Quand j'arrive à hauteur de ce dernier, sans qu'il m'ait remarqué, je brandis ma lame en m'apprêtant à l'abattre sur son crâne. Une rafale de balle vient le faucher au niveau de l'abdomen avant que j'ai eu le temps de frapper, et il s'écroule sans un cri.
L'air est trop opaque, et la situation trop folle pour que ses compatriote ne l'aient remarqué. Je m'agenouille près de lui, et lui colle de grandes claques pour l'obliger à se concentrer sur moi plutôt que sur les flots de sang qui s'échappent de lui.
-Qu'est-ce que tu fais là, Irving ? me demande-t-il avec un sourire réprobateur.
-Je suis pas Irving. Où est-il ?
-Irving c'est Irving. Il est comme ça. T'es l'écrivain raté ? Tu lui ressembles.
-C'est lui qui me ressemble.
-Où est Irving ?
-C'est ce que je veux savoir.
Il lève un pistolet vers mon visage, mais sa main est si tremblante, et son bras si mou, qu'il me manque de vingt bons centimètres lorsqu'il tire. Le bruit de la détonation m'assourdit quelques instants, et Sancho en profite pour me dire où se cache Irving Rutherford.
Depuis peu, l'écrivain guerrier sait lire sur les lèvres, mais je ne crois pas vraiment ce que je lis. Je comprends une insulte que j'oublie instantanément, et un lieu : La maison de la Radio. Quand je demande au révolutionnaire pourquoi Irving ne charge pas aux côtés de ses troupes, il a une moue de dégout.
-C'est un sous-fifre, m'informe-t-il. Il fait ce que je lui demande.
-L'histoire retiendra son nom. Je le sais de source sûre.
-C'est moi le chef, agonise-t-il.
-Plus maintenant.
Je vois ses yeux se recouvrir d'un voile incolore et pourtant chargé d'un foisonnement d'images. J'essaye de me convaincre que si j'ai gâché ses derniers instants, c'est qu'il le méritait. Les bruits de coups de feu se font brusquement plus rares, et l'armée semble en déroute face aux rebelles. Encore un martyr de la révolution de mes couilles.
Je me relève pour avoir une meilleure perspective. Je remarque alors que les militaires ne sont pas les seuls à fuir. Les révolutionnaires, que j'avais pris pour leurs poursuivants, sont eux aussi effrayés et pressés de s'échapper des Tuileries.
Je me retourne avec appréhension, et vois se dessiner dans la brume du combat la silhouette d'un reptile géant qui glisse pourtant silencieusement sur le sol. Sa langue siffle comme un couteau qu'on aiguise. Pire que l'anaconda de dix mètres que j'ai vu dans un film d'horreur : Le Serpent-Monde.
-Je suis Jörmungand ! hurle-t-il. Je vous mangerai !
J'ai autre chose à faire que d'écouter ces conneries. Je ne suis même pas sûr que ça soit vraiment en train d'arriver. Prenant mon élan, je fonce sur lui tête baissée, la pointe de mon épée raclant le sol.
Il pousse un sifflement strident qui me fait presque lâcher prise. D'une ondulation brusque, il projette ses crocs vers moi, prêts à se refermer. Mais je n'ai pas fait tout ce chemin pour me faire bouffer comme un mulot.
Je relève soudainement mon épée, sans cesser de courir. Je me précipite vers sa gueule ouverte et y plante ma lame. L'épée se met à rougir et fumer au contact du serpent géant, qui se tord de douleur. Mon arme magique fait le bruit d'une cocotte minute oubliée sur le feu, et couvre les hurlements du reptile.
Finalement, l'épée explose, et sa tête avec. Une giclée gigantesque de bouillie nauséabonde et verdâtre m'asperge tout entier. Le corps décapité de Jörmungand s'écroule, inerte.
Et évidemment, personne n'a assisté à cela.
Je fais neuf pas avant de m'écrouler. Je me recroqueville sur moi même, pétri d'angoisses et de regrets, et pas mal incrédule. J'ai envie de me compresser jusqu'à ne puis exister. De rester là et de ne pas insister comme je le fais toujours.
Une main se pose sur mon épaule. Je la repousse d'abord, puis une voix familière m'oblige à lever la tête :
-Tu as besoin de mon aide.
Xavier est debout à côté de moi. Il est engoncé dans une tenue de cosmonaute, et j'espère un instant qu'il soit venu m'annoncer s'être fait passer pour mort pour aller mener une mission secrète dans l'espace.
Mais il n'en est rien, et je sens même que je vais me mettre à chialer. Mon ami décédé m'explique avec le plus grand sérieux qu'il vient du futur, d'un futur où je suis devenu un grand écrivain, et qu'il est venu m'aider à me débarrasser d'Irving Rutherford.
J'éclate littéralement en sanglots. Je me recroqueville à nouveau, déversant des torrents de larmes rageuses contre moi-même, et contre ce putain de futur qui s'éloigne, se rapproche, fait des allers-retours, et me file la gerbe.
Xavier m'observe avec circonspection, et me demande poliment pourquoi je pleure. Je lui réponds la voix chevrotante qu'il me rappelle quelqu'un, avant de m'en retourner à mes sanglots.
La tristesse qui m'étreint n'a pas de fond, c'est une chute libre sans parachute qui dure des heures, des années. Je pleure comme jamais, et je ne pleurerai plus jamais comme ça. Je suis malheureux comme peut l'être quelqu'un avec des vrais problèmes.


Partie 1
 
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