Bienvenue sur mon blog. "Irving Rutherford", c'est mon pseudo, et c'est aussi un roman feuilleton qui paraît tous les mardis. Je sais pas vous, mais moi je déteste les écrivains qui racontent leur vie, même si c'est un peu ce que je fais. Alors du coup j'arrive pas à m'empêcher de rajouter deux ou trois trucs en plus, pour agrémenter le quotidien.
Si c'est votre première visite, je vous invite à lire un épisode ou deux. Chacun peut se lire indépendamment, mais le tout est relié par une continuité, et les vieux épisodes sont gardés dans les archives.
Je souhaite une bonne lecture aux nouveaux lecteurs comme aux habitués.


25 mai 2010

36. Paxton en enfer


Paxton Fettel pensa que cette fois il l'avait bien dans le cul. Pendant toutes ces années, il avait toujours vu la mort comme un détail anodin de l'existence, comme un passage obligé vers le nexus. Sans doute parce qu'il ne réfléchissait pas vraiment à cette question.
Lorsqu'il se réveilla dans cet endroit qu'il identifia comme l'enfer, il fut d'abord frappé par l'absence de chaleur. La tête lui tournait, et il parvenait vaguement à distinguer les rochers tranchants qui se dressaient un peu partout autour de lui. Un bruit sourd de métal que l'on frappe se perdait dans le lointain. Mais la première réaction de Paxton fut d'être surpris de ne pas transpirer dans son armure.
Cet endroit mythique, plusieurs sages du pays de Fock lui en avaient parlé autrefois lorsqu'il était enfant. Terrifié, il écoutait avec fascination ces légendes sur ce pays peuplé de créatures démoniaques, où l'on brûlait pour l'éternité. Et maintenant qu'ils s'y trouvait, il retrouvait ce sentiment de peur profonde qu'il éprouvait auparavant en entendant mentionner « L'enfer existe ».
Et il existait bel et bien. Ses yeux s'habituaient progressivement à son nouvel environnement, et lorsqu'il se mit debout pour regarder au delà des rochers acérés qui l'entouraient, un dragon décharné passa au dessus de sa tête. La bête ne lui prêta pas attention. Elle était dans un état de putréfaction avancée, et l'on voyait par endroit des os apparaître sous sa chair dévorée par les mouches.
Paxton, transporté par l'odeur de l'animal qui ne le survola qu'une fraction de seconde, ne put s'empêcher de vomir. Il scruta l'horizon et réalisa qu'ils se trouvait dans une vallée entourée de falaises rougeâtres, au milieu d'une forêt de pics rocailleux. Par endroit des corps humains étaient embrochés sur des pierres particulièrement tranchantes, et quelque part cela rassura Paxton. Au moins ils n'était pas seul avec les dragons.
À sa grande surprise, il constata que des larmes coulaient sur ses joues. C'était souvent ce qui lui arrivait lorsque les évènements le dépassaient, ce qui n'était pas si fréquent.
Tout cela n'avait pas le moindre sens ! Tout le monde savait pertinemment qu'il n'existait pas de vie après la mort. Si tel était le cas, les chevaliers auraient été incapables de penser à survivre. Si la vie nous offrait une seconde chance, il devenait vain de la préserver.
Un pensée pire encore s'empara de son esprit. Si l'enfer existait indéniablement, cela voulait alors dire que ses mauvaises actions l'y avaient conduit. Il songea à la vie morose que les gens mèneraient s'ils pensaient qu'il seraient jugés à la fin, et il pleura de plus belle.
-Putain, murmura-t-il, je veux mourir...
Il retira son heaume, et donna un coup de pied dedans pour l'expédier contre un rocher. Il leva la tête vers les falaises, et commença à élaborer un plan. Pour son esprit étroit de chevalier, l'enfer ne différait pas vraiment d'un donjon sinueux ou d'une forêt magique : C'était une nouvelle mission.
Il se mit en route à travers la terre aride et inhospitalière, et calcula qu'il lui faudrait bien deux jours de marche jusqu'aux falaises.

Quand Paxton Fettel rencontra d'autres humains, il ne leur accorda au début qu'un coup d'oeil rapide, les confondant avec les cadavres qu'il croisait fréquemment depuis le début de son périple. Quand l'un d'eux héla le chevalier, ce dernier sursauta si violemment que ses plaques d'armure sonnèrent comme des cloches.
Les hommes qui s'adressaient à lui étaient rachitiques. Leur peau semblait prête à tomber, prenant par endroits des teintes violacées, et des dizaines de mouches se baladaient joyeusement sur leurs crânes dégarnis sans que cela ait eu l'air de les gêner. Paxton préféra couper court à la conversation et annonça qu'il voulait arriver aux falaises avant la nuit.
-Il n'y a pas de nuit ici, sourit l'un des hommes avec un air étonnement calme. Nous avons du feu et des paillasses, viens donc te reposer au lieu d'aller mourir d'épuisement.
-Parce qu'on peut mourir à nouveau ? demanda Paxton.
-C'est une expression, mec.
Paxton alla s'asseoir avec les hommes, qui semblaient être déjà morts quelques bonnes centaines de fois. Certains arboraient même des plaies encore sanguinolentes aux sujets desquelles ils râlaient doucement.
Ils devisèrent sur la vie après la mort, et Paxton nia l'évidence. Pour lui l'existence même d'une seconde chance était stupide, encourageait la procrastination, et était contraire au code de la chevalerie. Il alla se coucher sur un petit tas de paille qui atténuait difficilement la dureté du sol en pierre. Il tenta de fermer les yeux, mais les cris des dragons au loin, ainsi que l'odeur épouvantable que dégageaient ses compagnons d'infortune, lui tapaient sur les nerfs.
Une fois qu'il fut bien sûr que tout le monde dormait sauf lui, il prit congé des hommes putréfiés sans faire de bruit. Il retira pour cela quelques pièces de son armure, dont ses jambières et son plastron.
Il marcha pendant des heures, se cachant des créatures gigantesques qui rôdaient entre les rochers ou dans les airs. A vrai dire, plus il se rapprochait des falaises, plus leur nombre augmentait. Aux dragons venaient s'ajouter les harpies et les chimères. La main serrée sur le pommeau de son épée, il avançait tant bien que mal d'un pas lourd. La peur de finir par ressembler aux hommes qu'il avait croisé avait remplacé la peur de mourir.

Il finit par arriver aux pieds des falaises. Un mur de rocaille se dressait entre lui et la sortie, il en était persuadé. La certitude que le vrai monde se trouvait au delà de cette vallée maudite lui était venue très vite. Paxton Fettel était un chevalier qui aimait se fier à son intuition.
Il se débarrassa des dernières plaques de son armure, ainsi que de son épée et de son écu. Avec une légèreté à laquelle il n'était plus accoutumé, il se mit à gravir la falaise.
La roche coupante lui entaillait les mains et les pieds, mais Paxton continuait de monter avec détermination. L'espoir insensé d'une sortie possible le maintenait en l'air et l'empêchait de tomber. Plusieurs fois il manqua une prise, ou cassa un bout de pierre sous son poids, mais toujours il se rattrapa. « Autant le faire d'une seule traite » pensait-il.
Ce qu'il fit. Ayant perdu la notion du temps, il ne sut exactement combien d'heures il passa ainsi à escalader le mur de rocaille. Chaque fois qu'il regardait en contrebas, le sol semblait ne pas avoir bougé. Mais la persévérance d'un vrai chevalier est une chose peu commune, et il ne se décourageait pas pour autant.
Lorsque sa main tâtonna un sol terreux, d'autres larmes coulèrent encore sur ses joues. Il se hissa en puisant dans ses dernières forces, et se retrouva sur le plateau qui dominait la vallée.
Il avait eu raison : Devant lui, à perte de vue, s'étendait une épaisse forêt de chênes d'où émergeaient anarchiquement des immeubles haussmanniens. Entre les arbres poussaient les feux de circulation et les panneaux publicitaires. Il aperçut même un sanglier qui sortait d'un escalier de métro.
Avant qu'il ait eu le temps de réfléchir, une pointe de douleur l'assaillit et l'obligea à s'appuyer contre un arbre. La blessure qu'il avait à la poitrine s'était rouverte d'un coup, et son sang se répandait abondamment dans l'herbe.
Chaque inspiration était plus douloureuse que la précédente, et il regretta presque de ne pas être resté en enfer. En claudiquant, il s'engagea dans la forêt, se fiant à son sens de l'orientation pour compenser sa vue brouillée. Il tourna devant un grand chêne qu'il crut reconnaître, et remonta le boulevard Saint Martin qui était envahi par les mauvaises herbes.
Il savait pertinemment que ce n'était qu'une question de minutes avant qu'il ne soit plus capable de tenir debout. Sa main compressait la plaie entre ses côtes, tentant vainement de retenir l'hémorragie. Sa vue était était de plus trouble.
Il coupa par une ruelle, et se précipita vers cet immeuble qu'il connaissait. Il tapota le digicode à l'aveugle, et pénétra dans le hall frais et carrelé. Ses jambes le lâchèrent, et il dut faire un effort pour s'allonger doucement par terre et ne pas s'écrouler.
-C'est trop con, dit-il.
Il ne lui restait qu'un escalier à gravir, c'était tout. Il avait traversé la mer de roche, évité les chimères, gravi une putain de falaise, et il n'était même pas capable de monter quelques étages.
Quand la porte de l'immeuble s'ouvrit, Paxton Fettel était déjà inconscient. Un homme moustachu fit irruption dans le hall en tenant deux sacs de sport, qu'il lâcha en apercevant notre héros. Et malgré la spectaculaire claque qu'il reçut pour se réveiller, Paxton ne put s'empêcher de sourire.


Note : T'es pas non plus militant athée

Prochainement : Vincent aux petits soins

18 mai 2010

35. Martine par paliers

« Ce matin Vincent m'a apporté une épée. Il n'a pas voulu dire où il l'avait trouvée. Il a prononcé nonchalamment quelques paroles inintelligibles, et a ignoré mes remerciements. Tout ce que j'ai réussi à comprendre c'est qu'il s'est donné du mal.
Mais selon Xavier, je dois continuer à m'entraîner encore quelques temps avec un manche à balai pour apprendre attaques et parades. Puis je dois passer à la barre de fer pour me familiariser avec le poids de ma future arme. Enfin seulement, je pourrai tenir l'épée et apprivoiser son tranchant. Xavier a du mal à se détendre.
J'ai pas mal fait la gueule au dîner qui a suivi. Je n'ai pas détaché mes yeux de cette arme moyenâgeuse appuyée contre un des murs du salon. Elle paraissait vieille, à en juger par les traces de rouille qui la balafraient par endroits, et la lame semblait un peu tordue. Plus une épée de cascadeur au Puy-Du-Fou que celle d'un chevalier légendaire. Mais quand même de quoi découper quelques tranches dans un bonhomme.
Xavier a glissé dans la conversation que l'entraînement n'était pas une raison pour que j'arrête d'écrire. Je l'ai envoyé chier en sachant pourtant qu'il avait raison. Tu commences à savoir comme je suis : Quand je n'écris rien pendant longtemps je commence à me prendre au sérieux et à réfléchir bizarrement.
Une fois que mes amis ont été couchés, je me suis emparé de l'épée et suis descendu dans la rue chaude. Je trouve que l'été que nous vivons est suffoquant. Je disais la même chose l'année dernière, mais j'étais loin d'imaginer ce qu'est la vraie chaleur.
Je me suis rendu vers ce bar de révolutionnaires où j'avais rencontré Irving Rutherford pour la première fois. L'épée s'est avérée moins lourde à porter que ce que je m'étais imaginé. Quand ils m'ont vu arriver, , avec ma démarche tranquille et mon sabre au clair, les gardes postés à l'entrée se sont plus ou moins affolés. Ils ont épaulé leurs mitraillettes et m'ont ordonné de décliner mon identité et le motif de ma visite.
-Je viens voir Irving Rutherford, ai-je dit. Je suis l'écrivain guerrier.
Je suis resté planté à les toiser, fier et stupide, et j'ai crié quelques insanités pour qu'on m'entende à l'intérieur du bâtiment. J'ai attendu que le dragon sorte de la taverne. Et crois-moi j'ai attendu longtemps. Un des soldats de pacotille est rentré dans le bar pour chercher du renfort et des explications, et m'a laissé seul avec son pote qui me gratifiait d'un rictus réservé aux fous qu'on croise dans le métro. Ce que j'étais peut-être, va savoir...
C'est Irving Rutherford qui est sorti de l'antre des révolutionnaires. J'ai immédiatement lu sur son visage qu'il me croyait mort pour de bon depuis notre dernière rencontre. Je te raconterai une autre fois comment je m'en étais sorti cette fois là.
J'ai haussé un sourcil, comme pour lui signifier « Eh ouais mon pote », et j'ai brandi mon épée telle un cadeau que je lui apportais. Je te fais grâce de la conversation que nous avons eue, pleine de provocations viriles et de phrases à double sens. Simplement, nous avons discouru sur la métaphysique, et il m'a juré que cette fois il n'allait par me louper. Et très vite nous avons été à cours de mots, et n'avons plus eu d'autre choix que de nous mettre en garde.
Il a sorti un flingue, et j'ai trouvé que pour une fois il manquait de prestance, ou qu'en tout cas pour une fois j'en avais plus que lui. Ça a été ma seule victoire de la journée. Que dire ? La bataille a été moins longue que prévu, moins épique. Je pense que certains de mes coups ont fait mouche, et que j'ai pu lui arracher un peu de sang. Mais j'avais du mal à juger de la situation avec une balle dans la poitrine.
J'ai moi aussi perdu beaucoup de sang, et finalement nous avons cessé le combat, en nous promettant que ce n'était que partie remise. Chacun de son côté est rentré panser ses blessures. J'ai choisi de venir chez toi, dans le vague espoir que tu y serais peut-être.
Quand tu reviendras on reparlera de tout ça plus en détail, parce que je me rends compte que je ne suis pas très clair sur certains passages, mais j'ai du mal à me concentrer. Tu devrais rentrer vite. J'espère que tu vas bien.
Moi je vais bien mais tu me manques. »
Une goutte de sang tombe par dessus ma signature, que j'essuie sur le revers de mon pantalon. Je me dis néanmoins que ça donne un côté authentique à mon récit qui ne l'est pas vraiment. Pour commencer j'aurais pu lui dire que j'avais peur de ne jamais la revoir.
La minuterie de l'immeuble de Martine est ridiculement courte. Je me demande parfois si les gens des étages supérieurs ont le temps de monter les escaliers avant que la lumière ne s'éteigne.
Assis par terre, le dos collé au mur, je passe mon temps à appuyer sur l'interrupteur pour ne pas me faire happer par les ténèbres. C'est sans doute mon imagination, mais j'ai le sentiment que les intervalles entre chaque extinction diminuent. Le temps s'accélère lentement mais sûrement, et la nuit passe à fond la caisse, pendant que je tache le parquet avec mon sang sous une lumière presque clignotante.
Jusqu'au point où je n'ai plus la force d'appuyer sur l'interrupteur, et que l'obscurité explose silencieusement. Les craquements du bois et le son du vent qui pousse les murs deviennent les seuls signes qui m'indiquent que le monde existe encore.
Une inspiration un peu trop forte me fait sentir le trou d'air qui me traverse et que je compresse tant bien que mal avec la paume de ma main. La douleur est rassurante dans un sens.
Péniblement, je rallume la lumière pour m'octroyer un sursis. Cette fois tout est différent. Les minutes ont fini de se précipiter, et semblent se suspendre autour de moi comme des ornements sacrés appartenant à des rites inconnus. Sentant mon esprit flancher, je me fais la promesse de rester athée jusqu'au dernier souffle, de ne pas me persuader que la fin c'est le début, et toutes ces conneries.
Du bout du pied, je fais glisser la lettre que j'ai écrite sous la porte de Martine. Au fond je ne lui ai rien dit. Son palier me happe peu à peu, la lumière capricieuse est devenue permanente, et je ne lui ai rien dit. C'est le premier texte que j'écris depuis des lustres, et je n'ai même pas été inspiré.
Après une éternité de bougonnements agonisants de ma part, la minuterie finit par s'éteindre. L'obscurité est plus profonde qu'avant, sans doute parce que nous sommes à une heure avancée de la nuit. Je persiste à croire qu’il n’y a pas de monde caché sous la surface des choses, et je mets toute mon énergie dans cette certitude. C’est elle qui m’empêche de claquer tout de suite, parce que sais que quand c’est fini c’est vraiment fini.
Un soupire que je pousse fait passer un filet d’air à travers le nouveau trou d’aération que j’ai entre les côtes, et la décharge de douleur me réveille un peu. Je tâtonne le mur jusqu’à l’interrupteur, et rallume la lumière. Roger se tient face à moi, assis sur une marche de l’escalier, et affecte un air concerné.
-Tu changes pas vraiment, me reproche-t-il.
-Si, dis-je dans un souffle fatigué. Doucement.
Le son de ma propre voix me paraît étrange après cette longue période de silence. Mes yeux sont encore emplis de ténèbres et ont du mal à s’habituer à la clarté nouvelle, si bien que Roger paraît plus fantomatique que jamais. J’hésite un instant à lui dire que mes amis pensent qu’il est une manifestation de mon imagination, mais je me ravise en réalisant que cela le blesserait à coup sûr.
Je lui demande comment va le futur, et il étire ses membres avec de faux airs de sportif, comme si c’était la question qu’il attendait depuis des lustres. Il m’explique qu’il est désolé de m’avoir fait miroiter le prix Nobel et la carrière d’écrivain qui va avec, mais qu’il cherchait une solution pour changer le cours des choses sans tout bouleverser.
-C’est la loi des voyages temporels, résume-t-il.
-Dans le futur je suis devenu quoi, en vrai ?
-Tu es mort du cancer.
-Au moins c’est une chose que j’aurai empêchée.
Je renonce à boucher le trou dans ma poitrine et laisse retomber ma main, qui est pleine de picotements. Je me persuade que ça ne veut pas dire que je renonce à vivre. Lorsque je demande à Roger s’il est venu du futur pour me sauver, il a une grimace, et m’explique que c’est plus compliqué que ça.
-Il s’agit d’Irving Rutherford, admet-il. Il s’est toujours agi de lui. J’ai cru que si tu t’accomplissais comme écrivain il ne ferait pas son apparition. Et quand il est apparu, j’ai cru que si je m’intégrais à son petit groupe, je pourrais le changer lui, avant que sa personnalité ne soit bien définie. Et je pense qu’il l’a bien compris et qu’il en a abusé.
On le croirait prêt à pleurer. Malgré mon insistance, il refuse de me révéler ce qu’Irving va commettre de si abominable qui justifie un voyage temporel. Un peu fatigué, je laisse courir et m’assois sur ma curiosité. Roger a ses raisons et j’ai les miennes.
-Tu as vraiment attaqué Irving Rutherford à l’épée ? me demande-t-il avec un sourire.
-J’ai menti dans la lettre. Je lui ai pas fait une égratignure, et c’est son homme de main qui m’a tiré dessus. Je me suis enfui parce que j’étais terrifié.
Il hoche la tête, compréhensif. Il me dit qu’il va me ramener chez moi, et que ce sera une preuve qu’il existe. Mais la lumière s’éteint brusquement, et quand je la rallume il a disparu.
Je devrais être honnête avec moi-même et m’avouer que je suis venu sur ce palier pour y mourir, en pensant que ça ferait les pieds à Martine. Que je rêvasse depuis des heures en attendant d'être à court de sang, dans l'espoir de vivre ou de mourir, pensant sans relâche à ce qui pourrait être et aux gens que je pourrais croiser.
Mes yeux se ferment doucement, et je n'en finis pas d'éspérer. Une torpeur rassurante s'empare de moi sans violence, avec une logique effrayante. À travers mes paupières closes, je perçois que la lumière s'éteint, encore. Je persiste à croire que quand c'est fini c'est vraiment fini.


Note : Suspense à deux balles

Prochainement : Paxton en enfer

11 mai 2010

34. Xavier est toujours mon agent littéraire.

Xavier compte mes tractions avec dédain. Dans un râle, je lui dis que je peux le faire tout seul, et il me répond que si je le faisais, je tricherais certainement. Arrivé au nombre prévu, je me laisse tomber de la barre, et fais attention à ne pas glisser du toit.
J'enlève mon t-shirt pour éponger la sueur de mon visage, et mon ami me demande comment je fais pour être un tel exhibitionniste.
-C'est ce qu'a répondu ta mère quand je lui ai demandé de nous filmer en train de le faire.
-La tienne est pas aussi pudique. Ça doit être de famille.
Le souffle encore irrégulier, je recommence une série de tractions, que Xavier compte encore à voix haute. Cette fois je m'écroule presque lorsque j'ai fini, et manque de dégringoler du toit en lâchant la barre.
-Je crois que ça suffit, m'ordonne Xavier.
-Encore une petite série.
Il se pince l'arrête du nez, juste entre les deux yeux, et ses épaules remontent imperceptiblement. En faisant visiblement un effort pour être poli, il me demande de me rhabiller. Je crois que si j'en avais la force, je remonterai à la barre sans attendre. Je pense qu'il le comprend en me regardant.
-C'est ton ninpo à toi, bougonne-t-il, comme si l'évidence l'accablait.
-Arrête avec tes trucs de ninja.
-L'écrivain-guerrier, murmure-t-il.
Ses yeux ont l'air de m'interroger, comme pour s'assurer que sa formulation a produit son petit effet. Je tâte mes bras, pour vérifier si par le plus grand des hasards ils n’ont pas augmenté de volume. Mais non.
Mon ami s’assoit en tailleur, et avec un ton qui se veut mystérieux, m’engage à prêter attention à ses paroles. Sur la planète de Xavier, « l’écrivain-guerrier » est un peu comme un chevalier jedi. Il pourfend l’injustice et pourchasse l’infamie, usant tour à tour de sa plume et de son épée.
-De son épée ?
-C’est ce que tu veux faire ? me demande-t-il. Tu te reconnais dans la définition ?
-Je suis pas sûr.
-Pourquoi tu enchaînes les pompes et les tractions depuis que t’es rentré ?
Je prends le temps de réfléchir, pour mettre des mots sur mon objectif, chose que je n’ai pas encore faite. Il ne me faut pas longtemps pour y parvenir.
-Je veux que la vie soit meilleure, dis-je. Je veux en foutre plein la gueule à ceux qui la pourrissent.
-On va t’apprendre à te servir d’une épée.

Vincent fait semblant de ne pas avoir entendu Xavier, qui est pourtant juste à côté de lui. Il lisse sa moustache d’un geste machinal, et s’absorbe dans l’inventaire d’un carton rempli de denrées, mettant à la poubelle celles qui sont périmées.
-Je suis sûr qu’une épée c’est pas si compliqué à trouver, insiste Xavier.
Vincent jette un pot de yaourt et un paquet de pain brioché. Je récupère le pot, en expliquant que les dates de péremption des produits laitiers prévoient une marge importante.
-Je rentre pas dans votre délire, les mecs, marmonne finalement le moustachu. Il n’y a plus d’armes nulle part, et vouloir une épée pour lutter contre des flingues c’est complètement con.
Je plonge une cuillère dans le pot de yaourt, et la porte à ma bouche. Un violent goût de moisi me fait recracher presque immédiatement, mais mes deux amis semblent trop absorbés dans leur conversation pour réagir.
-Il est très con, totalement pédé, mais je crois en lui, dit Xavier en me désignant d’un signe de tête, comme si j’étais un animal de compagnie. S’il est assez abruti pour vouloir devenir écrivain, et pour aller se faire défoncer par plus fort que lui, alors on doit raisonnablement le soutenir.
Vincent et moi cherchons un instant la logique de sa conclusion. On dirait son discours sorti d’un mauvais livre d’heroic-fantasy que j’ai adoré lire. L’émotion me noue subitement la gorge, et m’empêche de parler. J’essuie une trace de yaourt qui trône au coin de ma lèvre, et entame un sourire béat.
-Je préférais le temps où tu voulais devenir acteur, soupire Vincent.
Le futur écrivain-guerrier que je suis comprend que les réticences du moustachu ont été vaincues, ou du moins mises de côté. L’épée se rapproche, et avec elle les histoires échappées des mauvais romans que j’affectionne, et aussi des bandes dessinées.
Je vois vraiment pas ce que je pourrais écrire. Les événements à venir trépident et palpitent. Les événements passés ne me sont pas d’une grande inspiration, et manquent de sérieux.
Il reste la bataille, et avant elle l’entraînement. Finalement j’aime la formulation très synthétique de Xavier. L’écrivain-guerrier fera plus que se débattre.

Xavier perce ma défense, et m’assène un coup de manche à balai sur l’oreille, qui me fait un mal de chien. Malgré moi, je le traite de sale pédé, et il me colle un nouveau coup entre deux côtes.
-Tiens ta garde, dit-il froidement.
Je réajuste mes mains sur mon manche à balai, et jette un regard de défi à mon ami. Sans paraître impressionné, il m’écrase le gros orteil du bout de son arme de fortune. Je me mets à sautiller en lâchant une nouvelle bordée de jurons, faisant tout de même attention à ne pas glisser du toit. Avec un ton d’entraîneur, Xavier m’accorde que j’encaisse plutôt bien, mais que l’idéal serait d’éviter ses attaques.
-Je serais plus dedans si on s’entraînait avec des vraies épées, dis-je.
-Si on s’entraînait avec des vraies épées tu serais déjà mort.
Et sur ces mots, son manche à balai fuse et heurte mon épaule avec un claquement sourd. Je décèle dans son regard qu’il prend un plaisir évident à me frapper. Il continue ses assauts, faisant mouche à chaque coup, tapant de plus en plus fort. Je réalise qu’il rentre une fois de plus dans une de ses colères folles.
Sur la planète de Xavier, la faiblesse est un crime. Les gens qui hésitent, prennent des mauvaises décisions par lâcheté, et ne les assument pas par honte sont bons pour la pendaison. Ceux qui ont du mal à se défendre méritent une bonne raclée.
L’ustensile de bois vient s’aplatir contre ma tempe, et me désoriente quelques secondes, pendant que mon ami pousse un petit rire moqueur.  Sur cette planète étrangère, on a pas vraiment droit à l’erreur. Ceux qui ne se plient pas aux lois édifiées par le jeune tyran sont expulsés dans le cosmos, à la dérive.  Moi je m’accroche au sol comme un connard, pour ne pas être aspiré vers la stratosphère et retourner au monde tel que je le connais.
L’arme de Xavier fend l’air avec de grands sifflements, et m’assaille de tout côté. Je serre les dents, et évite de reculer vers la partie glissante du toit.  Sans réfléchir, je pose mon manche à balai, ce qui désoriente mon assaillant une fraction de seconde, que je mets à profit pour lui arracher son arme, que je casse en deux sur mon genou. Xavier semble sortir d’un rêve, et pousse un gros rot, comme cela lui arrive souvent après un effort physique.
-Avec des vraies épées t’aurais pas pu faire ça, halète-t-il avant d’être pris d’un renvoi.
Comme souvent, une envie de le tuer s’empare de moi. Je contemple le vide derrière lui, réfléchissant au meilleur angle pour le pousser, et ignore le sourire narquois qui emplit son visage.
-Je t'emmerde, dis-je. J'emmerde la spiritualité, les choses qui me dépassent. Je m'acharne comme un enculé et il y a rien d'autre que je puisse faire. Et je m’en branle de savoir si pour toi c’est suffisant ou pas.
Son sourire se charge quelque peu de malice, mais ce n’est sûrement qu’une impression. Il pose sa main sur mon épaule encore meurtrie par un de ses coups, et m’annonce que je commence à comprendre le truc.
Il descend du toit, peut-être pour aller vomir. La stratosphère exerce soudain moins d’attraction sur mon corps.
Récupérant mon manche à balai, je le soupèse en me projetant dans ce futur proche où si Vincent le veut, j’aurai une putain d’épée. Je cale le tube de bois entre deux cheminées, par flemme d’escalader quelques parapets pour aller retrouver ma barre en métal. Si Xavier était encore là, son enthousiasme pour moi redescendrait.
Je commence une série de tractions, sereinement, avec la satisfaction de constater que faire de l’exercice est de plus en plus facile. Perdu dans mes pensées, je mets un seconde de trop à réaliser que le manche à balai craque sous mon poids, et que mon corps tombe et suit une pente descendante jusqu’au rebord du toit. Stupidement, je m’agrippe aux deux bouts de bois dans mes mains, comme s’ils allaient me retenir. Me pieds battent les tuiles pour ralentir ma glissade, et j’ai finalement la présence d’esprit de lâcher au dernier moment les débris de manche à balai pour m’accrocher à une gouttière.
Le sang afflue dans mon cerveau par torrents, sans que pour autant une pensée claire me vienne. Instinctivement, je regarde le vide au dessous de moi, mais ne ressent pas vraiment de peur, comme si la perspective était trompeuse, ou que l’air était mou.
Je me hisse rapidement jusqu’à une zone plate du toit, et constate que la gouttière est un peu tordue à l’endroit où je l’ai agrippée.
Derrière l’adrénaline, un petit frisson de satisfaction me parcourt quand je regarde mes bras, qui me semblent plus épais. Même si ce n’est probablement encore qu’une histoire de perspective trompeuse.
Le cœur prêt à battre des records de vitesse, je traverse un petit triomphe personnel, que je vivrai sûrement comme un échec après une bonne nuit de sommeil, ou que j’oublierai. Car l’écivain-guerrier est ainsi fait qu’il ne voit pas les ratés de la vie comme une fatalité ou un manque de force. Il ne s’en réjouit pas non plus. 
En fait je crois juste qu’il s’en fout.


Note : Trop optimiste

Prochainement : Martine par paliers

5 mai 2010

33. Vincent a du mal à porter les choses lourdes

Vincent descend péniblement la brouette dans les escaliers, la cognant contre les murs et la laissant parfois échapper sur quelques marches. Il se plaint de la lourdeur de l'outil, et Xavier lui demande s'il préfère porter le cadavre. Bien entendu le moustachu ne trouve rien à y redire.
Je réajuste ma prise sur les pieds de Joell. Xavier, qui descend en marche arrière en tenant les bras du routier, me demande d'aller moins vite si je ne veux pas qu'on se casse la gueule. La manœuvre est délicate car nous évitons tous deux de regarder le cadavre, et la plaie béante qui lui tient lieu de parties génitales.
Vincent fait un bordel pas croyable avec la brouette. Nous n'en sommes qu'à la moitié du chemin et c'est un miracle qu'aucun voisin ne se soit encore risqué à sortir de chez lui.
Je presse un peu trop le pas, et me rapproche sans le vouloir de Xavier. Les fesses du cadavre viennent heurter les marches, et mon partenaire me réprimande. Vincent fait remarquer qu'il n'y a pas que lui qui fait du bruit.
J'ai l'impression que nous mettons une éternité à arriver en bas. Le corps pèse une tonne, et le visage de Xavier est fermé. Nous n'avons pas pu dormir cette nuit.
Une fois dans le hall, nous installons le cadavre châtré dans la brouette, et reprenons quelques secondes notre souffle. Le carrelage dégage une fraîcheur rassurante, mais nous savons que la journée va être étouffante. Nous savourons ce moment car c'est sans doute le meilleur que nous vivrons aujourd'hui.
Vincent sort son revolver, et nous précède dans la rue, pour dégager la voie. Xavier et moi le suivons, portant chacun une poignée de la brouette. Dehors le jour se lève à peine, et déjà la chaleur est désagréable.
Il faut vivre les mauvaises journées, on a pas le choix. Nous partons dans les rues de Paris en guettant chaque bruit suspect, effrayé par l'idée d'être découverts et de passer pour des cons. Ainsi débute l'épopée du cadavre sans bite.
Elle se poursuit dans les ruelles, que nos protagonistes empruntent pour être discrets. Ils ne croisent que quelques rats attirés par les tas d'ordures qui jonchent les trottoirs. Nos trois amis circulent à l'ombre, et essayent de respirer le moins possible.
L'épopée prend une tournure différente quand ils arrivent sur un boulevard sur lequel ils n'étaient pas venu depuis des semaines. Plusieurs cadavres les y attendent, plus ou moins mutilés, comme sur un champ de bataille abandonné par des soldats qui ne prennent pas la peine d'enterrer leurs morts. Certaines façades d'immeubles sont noircies, et presque toutes les portes sont fracturées.
-On se rapproche du centre, tente d'expliquer un des amis.
Et ils poussent leur périple un peu plus loin, avec moins d'appréhension. Car au fond, le cadavre qu'ils transportent leur paraît moins exceptionnel maintenant.
Chaque rue de la ville dévastée les renvoie à la nostalgie d'une époque révolue : La rue du premier baiser avec cette Martine, le bar où un certain soir Vincent s'était battu avec un inconnu...
L'immeuble tenu par les révolutionnaires.
L'épopée marque une pause, pendant que nous regardons la façade lacérée d'impacts de balles et de traces de sang. Je n'ai vu cet immeuble qu'une fois, de nuit, mais dans mon souvenir il était intact. J'interroge Xavier du regard, et il hoche la tête nerveusement, en se mordant la lèvre. Il emprunte le flingue de Vincent, qui le lui cède à contrecœur, et pénètre par un trou dans le mur du rez-de-chaussée. Sans doute un trou de roquette.
Je m'assois sur la brouette sans quitter la façade des yeux, m'attendant peut-être à voir Xavier passer à travers une fenêtre. Vincent allume deux cigarettes et m'en donne une, puis se moque de moi quand je lui dis que je suis presque prêt à arrêter de nouveau.
-Tu me parles de ça comme si c'était une envie que je respectais, me réprimande-t-il.
Le soleil est un peu plus agressif qu'à notre départ, et l'ombre des immeubles est moins envahissante. Je redoute le moment ou le corps de Joell va commencer à pourrir pour de bon. C'était la petite surprise qu'on réservait à ces connards d'activistes pour le réveil.
Xavier sort de l'immeuble en nous faisant signe que celui-ci est vide. Il rend son flingue à Vincent, et me vole ma cigarette quand ce dernier lui parle de notre conversation. Je regarde les yeux vides de Joell, et chasse la première mouche de la journée qui vient se poser sur son visage figé.
-Allons le balancer à la Seine, dis-je comme si c'était une évidence.
L'épopée reprend. Nos héros s'enfoncent un peu plus dans le cœur de la capitale et découvrent des rues de plus en plus dévastées, dans un silence qui n'est troublé que par le bruit d'un hélicoptère trop lointain pour être aperçu. La ville est imprégnée d'odeurs de bataille, des odeurs qui auront du mal à partir, ils le savent.
Sans crier gare, le fleuve apparaît. Il semble une oasis dans un désert vicié. « C'est un comble, quand on sait comme la Seine est dégueulasse », pensent-ils. Mais en cet instant précis, elle leur paraît cristalline et purifiante, et ils ont presque honte de venir y jeter un cadavre, même s'ils savent pertinemment qu'elle en a vu d'autres.
Ils avancent sur le Pont-Neuf, Vincent en tête de ligne, et les deux autres remorquant le corps, sur ce même pont duquel Roger était tombé il y a longtemps. La matinée est déjà bien entamée. Les gens vont commencer à sortir de chez eux, et les militaires à faire leurs patrouilles. Ainsi finit l'épopée du cadavre sans bite.
Je mens quand je dis que Roger est tombé, parce que c'est moi qui l'ai poussé. Je demande à Xavier s'il pense que cet ami du futur dont je lui parle parfois est encore passé à l'ennemi.
-Mec, s'attriste-t-il, faut que tu comprennes qu'il existe pas vraiment.
-On verra.
C'est vrai, quoi... Il l'a jamais rencontré, comment il peut dire s'il existe ?
Je lui demande de m'aider à soulever le corps, ainsi qu'à Vincent. Ce dernier s'y colle avec nous, mais ne nous aide qu'à moitié, et je lui conseille de se rabattre plutôt sur l'oraison funèbre. Pendant que Xavier et moi installons Joell sur le parapet, je le vois chercher ses mots en triturant son flingue.
-Il avait du bon en lui, commence-t-il, puisqu'il a renoncé à nous tuer au dernier moment. C'est pour ça, Joell, que nous avons décidé de ne pas te laisser pourrir au soleil.
-C'est ce qu'on voulait faire au début, rectifie Xavier.
-Ta gueule.
Nous poussons le corps, qui fait une chute hasardeuse, suivie d'un gigantesque éclaboussement. Joell sombre et nous offre un geyser d'adieux, avant de sombrer dans les eaux du fleuve sale. Nous contemplons les ondes troubler la surface de l'eau, qui semblent ne pas avoir de fin.
Il y a quelque chose de plus dur dans l'air maintenant, peut-être ce putain de soleil, ou les émanations de la ville pourrissante.
Nous avons mis trop de temps. Il est encore tôt mais les milices sont de sortie. En plissant les yeux, je distingue un groupe de quatre hommes à l'autre bout du pont, dont l'un d'eux tient ce qui ressemble à un club de golf.
Je déglutis péniblement, en indiquant ma découverte du doigt à mes amis. Leurs épaules se raidissent, et Vincent murmure une phrase agressive que je n'écoute pas vraiment. Les yeux fixés sur ces hommes qui viennent à notre rencontre, le soleil nous aveuglant un peu, nous attendons patiemment de savoir à quoi nous en tenir. Vincent serre son revolver et crispe les mâchoires.
C'est comme si le Pont-Neuf se rallongeait à chaque seconde. Les hommes marchent vers nous comme s'ils s'éloignaient, et nous ne les distinguons précisément que quand ils arrivent à notre niveau. Ils portent des vestes militaires usées, posées sur des t-shirts aux couleurs passées. L'un d'eux, celui au club de golf, est même en sandales.
-Qu'est-ce que vous venez de jeter ? nous demande-t-il agressivement.
Nous ne répondons rien. Xavier met toute la dureté qu'il peut dans son regard, et ses yeux ne lâchent pas le club de golf. J'imagine qu'il réfléchit à la meilleure manière de désarmer notre interlocuteur. Deux des sbires me dévisagent, et l'un chuchote à l'autre une phrase dont je ne saisis que « Tu crois que... ».
Le chef de la troupe marche jusqu'à la brouette, et la soulève d'une main pour l'examiner, ce qui énerve Vincent. L'homme pousse un petit sifflement, comme s'il caressait une ferrari.
-On va la réquisitionner pour la révolution, mon pote, dit-il.
Vincent, imperturbable, va poser la main sur l'outil. Le révolutionnaire, examinant les biceps de mon ami, a un sourire qui se veut ironique. Il amène la brouette vers lui. Le moustachu, sans hésiter, lui tire une balle dans le pied.
La détonation fait sursauter tout le monde, moi le premier. L'homme pousse un cri, suivi d'un flot d'injures, et lâche son arme pour compresser sa plaie. Xavier, le corps entier tendu, a l'air d'un animal prêt à bondir. Il ramasse le club de golf d'un geste prompt, et se place en position de combat.
-C'est notre brouette, grogne Vincent.
L'homme s'appuie sur un de ses camarades, et le petit groupe s'éloigne plus vite qu'il n'est arrivé, en nous traitant de tous les noms. Xavier fait la remarque que dans dix minutes ils reviennent avec des mitraillettes, et nous hochons la tête. Pourtant nous prenons le temps de les regarder s'éloigner, vers la rive pleine de soleil, emportant avec eux un peu de ce qu'il y a de bon chez nous.
On va pas y arriver. On peut pas se cacher, et on peut pas résoudre les choses calmement. Ceux d'en face sont fous et contagieux.
Le bonheur se fait la malle à une vitesse inimaginable, et nous on s'endurcit de jour en jour. On se lève jamais assez tôt, et on a jamais assez de scrupules. On est devenu des personnes qu'on était pas avant.
On jette plus que des cadavres à la Seine.


Note : Ça s'arrange pas

Prochainement : Xavier est toujours mon agent littéraire
 
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