Bienvenue sur mon blog. "Irving Rutherford", c'est mon pseudo, et c'est aussi un roman feuilleton qui paraît tous les mardis. Je sais pas vous, mais moi je déteste les écrivains qui racontent leur vie, même si c'est un peu ce que je fais. Alors du coup j'arrive pas à m'empêcher de rajouter deux ou trois trucs en plus, pour agrémenter le quotidien.
Si c'est votre première visite, je vous invite à lire un épisode ou deux. Chacun peut se lire indépendamment, mais le tout est relié par une continuité, et les vieux épisodes sont gardés dans les archives.
Je souhaite une bonne lecture aux nouveaux lecteurs comme aux habitués.


30 mars 2010

28. Lucien insiste

-Bah alors, ma poule, je croyais que les écrivains adoraient les chemises blanches ?
Lucien me colle une gigantesque claque sur l'épaule, et s'amuse à me donner des petits coups de poings dans les côtes, juste pour voir comment je me défends. J'ai l'impression qu'à chaque mouvement que je fais, la chemise que je porte va se rompre tant elle me paraît fragile.
Mon réalisateur attrape un vendeur qui passe et lui demande une cravate pour aller avec le costard que je porte. Il me chahute encore un peu, me questionnant avec insistance sur la cavalière que je compte amener pour monter le tapis rouge.
-Il y aura un tapis rouge ?
-Je vais en louer un, me répond-il. Et puis des plantes aussi, parce que la salle des fêtes est un peu morne.
-La salle des fêtes ?
Il rit de bon cœur, comme un gosse excité à l'idée de jouer dans le spectacle de son école. Il me parle du film qui va faire un carton en DVD, et de l'aventure humaine qu'aura été le tournage.
-Tu m'as scotché, s'exclame-t-il. La scène avec le commissaire, là... Et puis cette scène aussi où tu as improvisé une réplique...
Je lui rappelle la phrase exacte, qui est « Si j'étais un homme bon, je pourrais me dire que je ne mérite pas tout ce qui m'arrive ». Il s'esclaffe comme si j'avais sorti la blague de l'année, et soliloque sur la colère dans mes yeux qui passe bien à l'image.
Le vendeur revient et me propose plusieurs cravates. Lucien en choisit une pour moi, un peu trop bariolée à mon goût. J'aperçois mon reflet dans le miroir, et ce n'est pas moi que je vois mais Irving Rutherford. Il m'observe en retour, avec un air perdu, se demandant pourquoi je m'habille comme lui.
Lucien revient à la charge au sujet de ma cavalière, et je suis forcé de lui avouer que je comptais venir seul. Il me fait comprendre avec insistance que c'est impossible.
-Du glamour, ma poule.
Je remarque que le vendeur, maintenant retranché derrière son comptoir, se fout de ma gueule. Sans doute la cravate. Le miroir s'assombrit, et Irving Rutherford, lassé, fout le camp. La glace obscurcie ne me renvoie plus qu'un reflet vide dans lequel je ne suis pas. Mon ego crie au scandale.
Mon réalisateur a des mots rassurants, et me console en me proposant d'aller en boîte ce soir pour me chercher une cavalière. Je l'écoute à peine, trop obnubilé que je suis à scruter le miroir à la recherche de mon reflet. J'ai beau savoir que c'est un peu narcissique, j'aimerais qu'il renvoie mon image, même floue, même incomplète.
Je voudrais exister toujours plus, jusqu'à devenir aussi important qu'Irving.
Enfin, je voudrais savoir pourquoi je n'appartiens pas au monde du miroir. Calmement, je m'avance vers la glace vide. Derrière se trouvent certaines réponses, et probablement un univers parallèle. Il est habité par des êtres qui nous ressemblent, et qui sont pratiquement tous gauchers. De l'autre côté du miroir, mes tatouages sont illisibles, et c'est une manière comme une autre de tirer un trait sur le passé.
Je ferme les yeux. Les sons autour de moi sont déformés par l'atmosphère mystique que j'ai créée en quelques secondes. C'est presque un moment solennel, et sûrement aussi un nouveau départ.
Je marche vers le miroir, sans peur, et me cogne de plein fouet. Mon front fait un bruit sourd qui résonne dans le magasin, et je sens mon nez s'aplatir violemment.
Je pousse un juron en ouvrant les yeux, et frotte mon visage endolori. Lucien pousse un éclat de rire retentissant, tandis que les clients braquent leurs yeux sur moi comme des phares. Je rougis un peu, observant mon réalisateur se tordre de rire.
-Cette fois tu t'es surpassé, s'esclaffe-t-il.

-Qu'est-ce que tu prends, ma poule ?
-Comme toi.
-Ça m'étonnerait, t'aimes pas la bière.
-Prends-moi une putain de bière.
Sans chercher à comprendre, Lucien se faufile dans la foule amassée près du comptoir, et tente de capter l'attention d'un serveur. Tout le monde boit de la bière putain, alors moi aussi.
Le DJ lance une chanson à la mode, qui fait rugir la salle. Les gens se mettent à se trémousser, plus ou moins en cadence. Certains font des efforts pour ne pas renverser leurs verres, d'autres frottent leurs culs par terre. L'air se fait rare, mais il est agréable à respirer. Il est chargé d'odeurs concrètes et de sons graves qui font vibrer les tripes.
Lucien semble perdu dans la foule. Je joue des coudes pour le rejoindre, et interpelle un serveur d'un signe de la main. Ma chemise blanche irradie sous la lumière ultraviolette, et fait de moi un néon humain. Je lance un sourire provocateur à Lucien.
-C'est juste parce que t'es plus grand que moi, grogne-t-il.
J'attrape nos verres et le laisse payer. Il me demande ensuite si ça me plairait d'aller m'installer au carré VIP. Il me désigne un coin de la boîte où sont disposés quelques canapés, accessibles à tout le monde. Je prends sur moi pour ne pas faire de sarcasmes, car le nouveau moi est plus tolérant.
Nous allons nous installer sur un canapé, et instantanément Lucien commence à me désigner des filles qui dansent en me demandant laquelle m'intéresse. J'avale une gorgée de bière dégueulasse en temporisant ma réponse. Je suis sauvé par un homme qui vient s'assoir à côté de nous pour prendre des nouvelles de Lucien, et réclamer un quad qui devait semble-t-il arriver aujourd'hui. Mon réalisateur le congédie poliment, en lui demandant de repasser plus tard dans la soirée.
-C'était qui ? je demande une fois que l'homme est parti.
-Un cousin. T'as l'air triste, ma poule.
-J'ai perdu mes pouvoirs. Avant je pouvais faire du deltaplane avec un manteau, ou me téléporter. Je pouvais même visiter des mondes parallèles. Maintenant je suis comme tout le monde.
-C'est pas ce que tu voulais ?
Il sourit avec bienveillance, et nous buvons nos bières en regardant quelques filles frotter leurs culs par terre. Il se sent obligé d'ajouter « Bienvenue dans la vie d'adulte », probablement pour faire un bon mot. Et le pire c'est que je ne trouve rien à y redire.
Ce serait prétentieux d'avoir peur de la normalité. Je déteste les gens comme ça. Il faut être abruti pour vouloir être différent des autres.
Je me lève pour aller danser. Je vais me mêler à la foule et fais semblant de connaître les paroles de la chanson qui passe. Je me surprends à pousser des cris inutiles et à sourire pour faire plaisir aux autres.
J'essaye de toutes mes forces de rentrer en transe. Je tente de suivre ce rythme mystérieux et de ne pas me cogner contre les autres danseurs. À vrai dire je ne suis pas très doué.
Lucien vient me rejoindre, hilare. Il me montre quelques pas, et capte immédiatement l'attention autour de lui. Il m'encourage en tapant des mains, avant de retomber dans un fou-rire.
-Comment tu veux être normal si tu bouges comme ça, ma poule ?
J'essaye encore plus fort. La musique reste à apprivoiser, mais je suis patient et je n'ai rien de mieux à faire. Je l'aurai à l'usure.
Et pour commencer je frotte mon cul par terre.

La rue est chaude et compacte. Les murs de la boîte grondent et semblent prêts à s'écrouler sous le poids de la musique.
Je fume normalement. Je songe à tenter à nouveau d'arrêter. Si je le fais je vais encore devenir irascible.
J'observe Lucien de loin. Il explique à son cousin comment se servir du quad posé devant eux. L'engin est neuf et étincelle dans la nuit. Je n'arrive cependant pas à m'y intéresser.
Les gens fument autour de moi avec calme. Si j'arrête je pourrai dire adieu à ces moments de repos au milieu des soirées trop bruyantes. Mais peut-être que le nouveau moi aime le bruit.
Je pose les yeux sur une poubelle de l'autre côté de la rue, et décide de tester mes pouvoirs. Je me convaincs que si je la fixe suffisamment longtemps j'arriverai à lui faire prendre feu. Mon cerveau se met à bouillonner, et inconscient du ridicule de la situation, je tends la main pour mieux diriger l'énergie.
Le sang vient chatouiller l'intérieur de mes doigts crispés, et je jurerai que la poubelle chauffe un peu. J'aperçois du coin de l'œil le cousin de Lucien qui l'interroge du regard à mon sujet, et ce dernier qui lui répond par un geste qui veut certainement dire que je suis un peu allumé.
Un homme ivre vient uriner contre ma poubelle, que j'aurais juré prête à s'enflammer. J'abandonne pour cette fois, mais bizarrement je ne m'avoue pas vaincu. Mes pouvoirs sont plus subtils que ça. Il agissent sur le cours même des choses.
Par exemple, la scène du mec qui fume tout seul à la sortie d'une boîte manque de rebondissements. Un personnage va certainement faire son apparition, et bouleverser le héros.
Je fixe intensément le bout de la rue, m'attendant à voir débarquer Roger ou Martine au tournant. J'espère que ce sera Martine. Peut-être qu'en me concentrant suffisamment...
Je finis ma cigarette sans que personne n'ai montré le bout de son nez. J'essaye, putain, je fais que ça. Mais la rue reste vide et mes forces s'amenuisent, qu'est-ce que j'y peux ?
Je ferme les yeux pour aller me reposer quelques secondes dans mon monde intérieur. Mais rien n'apparaît, ni gobelin ni chevalier. Je suis seul et sans inspiration. Plus rien de dingue ne peut arriver maintenant.
Le cousin de Lucien passe lentement devant moi en chevauchant son quad rutilant. Son allure est lente et zigzaguante. Il répète sans cesse « Oh putain » en tentant de garder son guidon droit. Pourtant je pourrais le dépasser en marchant un peu vite.
Lentement mais surement, il va encastrer son véhicule dans un panneau de signalisation, se hurlant à lui-même de freiner, sans succès. Le moteur du quad s'arrête après avoir reçu le choc. Lucien va rejoindre son cousin d'un air atterré.
-Putain, Selym, dit-il, C'est quand même pas compliqué de savoir où on va.
Parle pour toi. Moi je suis vulnérable avec cette putain de chemise blanche. Si le danger arrive, je ne pourrai sans doute pas m'en dépêtrer comme avant. Pas comme avec un manteau indestructible et un peu d'inspiration.
La vraie vie est plus coriace qu'un écrivain peut l'imaginer. Elle est moins drôle aussi.


Note : Évite de parler de « frotter son cul par terre »

Prochainement : Roger cherche l'imprévu

23 mars 2010

27. Barry me poursuit

Le fusil à pompe étincelle dans mes mains, comme une créature un peu folle. Il renvoie le soleil brutal qui passe entre les branches des arbres, et me fait froncer les sourcils. Mon arme fume encore et je suis couvert de sang.
Autour de moi, les morts sont entassés aux quatre coins de la villa, et je déambule comme un fantôme au milieu d'eux. Le bruit que font les oiseaux dehors est trop fort, ainsi que celui de mes pas sur le carrelage souillé.
Je repère avec un sourire un cadavre qui bouge encore. Je m'approche de lui avec précaution, et m'accroupis à côté de son visage. C'est Jack qui agonise. Sa poitrine est perforée par endroits, mais ses blessures ne semblent pas réelles, et sa voix ne semble pas mourante.
-Tu nous as tous baisés, me dit-il dans un râle qui sonne faux à mon oreille.
-Fallait pas essayer de me baiser d'abord.
-Enculé.
-C'est toi l'enculé.
Je me lève et pointe mon arme contre lui. Une détonation assourdissante retentit, puis c'est le noir complet. Le générique commence à défiler, accompagné d'une chanson sicilienne, et Lucien m'informe que c'est sa cousine l'interprète.
Il rallume la lumière et baisse un peu le son de la télévision. Autrefois, un lutin aurait traversé ma tête d'une oreille à l'autre, en martelant mon cerveau pour se marrer. Il aurait chanté une petite comptine ridicule sur la difficulté de devenir un meilleur homme. Mais je fais des efforts maintenant pour raisonner correctement.
Je dis à Lucien que j'aime vraiment beaucoup la réplique de la fin : « C'est toi l'enculé ». Je lui demande aussi comment il a réussi à monter le film si vite.
-En fait, me répond-il, le monteur commençait déjà à travailler pendant le tournage. Je lui apportais chaque jour les prises qu'on avait faites.
-Mais tu vas le retravailler encore un peu ?
-Pas le temps. La première c'est dans une semaine. Va falloir t'acheter un costard, ma poule.
J'ai envie de prendre Lucien dans mes bras, pour le remercier d'exister, et de balayer franchement tous mes remords sur l'idée de ne pas réfléchir assez avant d'agir. Et je me dis qu'avec un peu de gymnastique mentale, je pourrais lui voler cette confiance aveugle en son propre travail.
-Viens, m'entraîne-t-il, on va prendre l'air.
Marseille me paraît un peu différente cette après-midi, mais c'est peut-être parce que je viens de voir un film trop violent. Du coup tout me semble calme.
L'été a fini par arriver. J'étais aux premières loges pour le recevoir, et j'ai même pu me baigner un peu dans la Méditerranée. Il fait chaud maintenant, et mon corps comme ma tête se ramollissent un peu avec le soleil. Ça fait au moins deux semaines que je ne rêve plus de Paris.
-Tu y penses toujours ? me demande Lucien en prenant le chemin qui mène vers le vieux port.
-A quoi ?
-A ta copine, là... Elle sait toujours pas que t'es à Marseille ?
-Elle fait partie de la vie d'avant, Lucien...
Il rigole en me traitant de poète à deux balles, et nous continuons notre route. Elle nous emmène sur le vieux port, qui en cette heure de l'après-midi est encore à moitié vide. Nous nous installons dans un café plus ou moins à la mode, et Lucien nous commande deux cocktails.
Il commence par me dire qu'il ne pensait vraiment pas quand il m'a appelé que je descendrais à Marseille faire un autre film avec lui, surtout avec ce qu'il appelle « Les émeutes de parisiens ». Puis il tente de me faire avouer que tout ça me manquait. Mais le truc c'est que j'ai cessé d'exister à un moment, sans m'en rendre compte. Irving Rutherford est à la conquête de Paris, et moi je suis réincarné en acteur marseillais. Ce qui me manque c'est la capacité à me souvenir, parce que j'ai du mal à me rappeler de la vie d'avant.
Et aujourd'hui je me mets à trouver normal que la mer ne fasse pas de vagues.

Les gens et la musique me narguent par leur médiocrité. Le bar est empli d'une sorte de vapeur violette, et mon cœur bat au rythme démentiel des enceintes qui crachent de la mauvaise electro. Les hommes portent des putains de t-shirts roses.
Je demande à une serveuse qui passe de me remplir mon verre, et elle me répond « Tout de suite Barry » d'un ton détaché. Elle va se perdre dans le brouillard coloré, qui vibre lui aussi avec la musique trop forte.
Je commence à avoir mal à la tête. Les gens autour de moi rient comme des déments, sans doute parce qu'ils savent pertinemment que je n'ai rien à faire dans cette ville, et qu'au fond je ne la connais pas vraiment. J'aspire une grande bouffée de fumée violette, qui pénètre dans mes poumons presque liquide, et me brûle un peu.
Ça et là, des gobelins fendent le brouillard, et l'un d'eux est même suffisamment hardi pour venir me conseiller de m'acheter un costard. Je lui réponds que c'est en projet, et vais m'enfoncer à mon tour dans les vapeurs brûlantes du bar.
Je m'immerge dans ce monde peuplé de créatures mythiques, et tout devient flou et petit. Mon subconscient est merdique, et en faisant un effort j'arriverai bien à le maîtriser. Sinon tout continuera à tourner et à clignoter comme dans une fête foraine minable. Si je ne trouve pas la sortie du bar, je crois que je vais vomir.
On boit des cocktails sans savoir ce qu'il y a dedans, juste parce que leurs noms nous plaisent. Du coup on se trompe souvent, et on déambule péniblement dans un brouillard qu'on a nous même créé. La brume est dans notre tête, et c'est pour ça qu'on réussira à la dissiper.
Ma main fend le vide et trouve la porte de sortie. Je la pousse précipitamment, dans l'espoir de me rafraîchir un peu dehors. Mais c'est peine perdue. L'été est arrivé sans que je ne m'en rende compte, et l'air est aussi brûlant à l'extérieur du bar.
Les vapeurs violettes emplissent la rue et me cachent même le ciel. La chaleur me heurte comme si elle était solide, mais ça aussi ce n'est que le fruit de mon imagination. J'ai voulu l'été comme le reste.
J'ai cherché une ville sans émeutes et je l'ai trouvée. Les communications sont coupées, mais les voitures ne brûlent pas, et c'est déjà un début. Je m'assois quelques secondes pour reprendre mes esprits, et tenter de dissiper la brume qui se fait chaque seconde plus épaisse. Mais c'est pas évident.
J'allume une cigarette, et la fumée que j'expire est violette elle aussi. Si tout n'était pas aussi incertain, on pourrait sans doute faire quelque chose de nos vies. Je laisse le brouillard tout envahir, sans intervenir. J'entends le clapotis de la mer toute proche que je ne distingue même pas.
Un homme vient se planter devant moi, mais sont visage est caché par les vapeurs. Il se tient un peu trop proche de moi, dénué d'inhibition, et j'en déduis qu'il ne regarde pas non plus la composition des cocktails.
-Tu as un peu trop bu, me dit-il avec un soupçon de condescendance.
Je reconnais sa voix. S'il est aussi proche de moi, c'est juste parce qu'il me connait très bien. Je me lève brusquement, et avec une force que je pensais avoir perdu, agrippe sa gorge avec mes mains.
Je hurle à Roger que je vais le tuer. Il parvient à se dégager de mon emprise, que j'aurais pourtant jurée plus solide. Il s'échappe dans la brume violette et je me lance à sa poursuite en vociférant que je vais lui arracher la tête.
-Arrête, crie-t-il, je suis venu te parler !
Guidé par le son de ses pas, je cours après lui, ignorant ses protestations plaintives. Je remarque quand même qu'il a le culot d'appeler sa trahison « Changement de perspectives ».
-Je vais te balancer du haut des remparts du vieux port, fils de pute, tu vas comprendre ce que c'est que de changer de perspectives !
-Mais bordel tu vas m'écouter ?
Mes mains agrippent l'air à la recherche d'un bras ou d'une touffe de cheveux à saisir. Pourtant je sens bien qu'il n'est plus très loin. Une voiture me frôle en klaxonnant, et je réalise que je suis maintenant sur la route.
Je me concentre pour faire partir la fumée violette. Mes yeux cherchent une faille dans le brouillard qui me donnerait une idée de l'endroit exact où je me trouve, ou même juste un aperçu de la position de Roger.
-Regarde-toi Barry, me hurle-t-il à travers la brume, t'es plus personne !
-Je m'appelle pas Barry !
-A Marseille tu t'appelles Barry. Et quand le nouveau film sortira, t'auras un nouveau nom. T'existes tellement peu que ça en devient pathétique...
Me fiant à la direction par laquelle me parvient sa voix, je me rue la tête la première et viens heurter sa poitrine. Il recule violemment, mais je ne le lâche pas, le frappant à coups de genou en agrippant sa chemise.
Nous reculons tellement que mes pieds finissent par ne plus trouver de sol sur lequel s'appuyer. Nous basculons sur une petite balustrade, droit dans la mer en contrebas. Nous fendons le brouillard comme des flèches, et une éternité semble s'écouler avant que nous ne nous écrasions dans l'eau.
Le choc me fait lâcher Roger. Des milliers de petites bulles viennent chatouiller ma peau alors que mon corps s'enfonce dans les profondeurs.
La mer est violette à l'intérieur. Je me débats brusquement pour chasser les bulles autour de moi et remonter à la surface. La couleur de l'eau est surnaturelle, et j'aurais bien envie d'y rester, mais j'existe encore juste assez pour refuser de mourir ivre dans une mer violette sans courant.
Ma tête sort de l'eau, et l'inspiration que je prends est gigantesque. Mes poumons sont si grands qu'ils aspirent en quelques secondes la brume qui a envahi la ville. Tout redevient subitement clair, et mon ivresse cesse sur le champ.
Je fixe le fond de l'eau, me demandant un instant si je ne vais pas replonger pour achever Roger. Car je l'ai déjà balancé à la flotte de plus haut, et qu'il est quand même revenu. Un passant de l'autre côté de la balustrade me demande en criant si je vais bien, et voyant que je ne réponds pas, m'indique un escalier pour remonter sur la route quelques dizaines de mètres plus loin.
Je dois d'abord reprendre des forces. Sinon toute la colère du monde ne me servira à rien. Je me mets à nager vers l'escalier, sereinement, songeant que la prochaine fois que l'autre connard croisera ma route il n'aura pas de brume pour le protéger.
Je sors de l'eau endolori et grelottant. En montant l'escalier, je savoure ce froid dont j'avais oublié l'existence. Il me rappelle l'hiver rude que j'ai connu, sans doute le plus dur de ma vie. Il me parle de la vie d'avant, de Paris, de Martine, et du temps où j'étais encore un écrivain raté.
Le passant m'aide à repasser par dessus la balustrade et à rejoindre la route. Je le remercie et il me répond « De rien Barry ».
J'aurais pu choisir de rester à Paris et de me battre, comme mes amis. Mais j'ai préféré rejoindre un coin tranquille, et j'estime l'avoir mérité. J'emmerde Barry, et j'emmerde Roger et ses sermons. Je suis un peu plus raisonnable maintenant.
Et Martine ne s'intéressera pas à ce que je suis devenu, donc c'est inutile de chercher à la revoir. La vie à Marseille n'a rien d'une partie de plaisir.
Je secoue mes bras pour me débarrasser des quelques gouttes violettes qui s'y accrochent encore. En vérité j'aime que les cocktails n'aient pas de noms pour moi. Ils sont les gardiens du mystère de l'étrange brume colorée, et nous donnent assez de courage pour nous jeter à l'eau. Je comprends grâce à eux pourquoi la mer d'ici ne fait pas de vagues.
Le brouillard ne reviendra pas. T'as gagné. Fini de rêver, mon pote.


Note : Brouillard un peu trop appuyé

Prochainement : Lucien insiste

9 mars 2010

26. Irving Rutherford

Paris est redevenue comme avant. Je n'ai aucune explication à ça, mais je découvre avec bonheur ses boutiques réparées et ses voitures qui ont recommencé à circuler. Les gens semblent souriants, et font du shopping comme si rien ne s'était passé.
Je marche quelques minutes, me délectant du retour des beaux jours, des cyclistes qui conduisent mal et des épiciers qui fument devant leurs magasins.
J'aperçois cette boutique de bandes dessinées où j'allais souvent, et je me demande pourquoi elle a changé de place sur le boulevard. Je pénètre à l'intérieur et commence à flâner entre les rayons. Je feuillète plusieurs albums, avant d'en trouver un qui m'intéresse. Il raconte l'histoire d'un sorcier des forêts rouges qui décide de faire le bien, et qui se retrouve à combattre son propre camp.
Le vendeur me le glisse dans un sac, en me demandant où en est ma collection. Je lui réponds qu'elle a brûlé.
-C'est la pire chose qui puisse arriver à un homme, commente-t-il.
J'ouvre brusquement les yeux. Le jour pénètre doucement par la fenêtre de l'appartement de Vincent, et me fait comprendre que c'est le petit matin et que je n'ai pas beaucoup dormi. La lumière est blanche, orange, verte. Les premières heures de cette journée sont fantomatiques et un rien abrutissantes.
Je fixe le plafond en étirant mes bras engourdis. Ce lit de camp est trop petit, tout comme l'appartement de Vincent dont le plafond est trop bas. Le soleil jeune m'éblouit et me force à me lever, ce qui me permet de remarquer Roger qui m'observe, assis sur le canapé.
Je sursaute involontairement, même si au fond sa présence n'a rien de surprenant. Ses bras sont croisés et son visage est grave. Je lui demande s'il est passé à l'ennemi.
-C'est toi qui est passé à l'ennemi, me répond-il.
Je me dirige jusqu'à la cafetière sur la pointe des pieds, prenant soin de ne pas réveiller le reste de l'appartement. Je prépare assez de breuvage pour Roger et moi, puis enfile un pantalon. C'est une bonne idée l'histoire du sorcier qui se retourne contre les siens, et je devrais certainement la noter avant de l'oublier.
Je m'allume une cigarette, et fume les yeux baissés. Je commence à fatiguer. Le rythme s'intensifie, et je n'ai tout simplement pas autant d'endurance que le personnage que je me suis bâti. C'est la vraie vie ce matin, plus que les autres jours. Des gouttes de pluie viennent caresser les vitres, et éclatent les reflets du soleil en un million de petites taches lumineuses. Les rayons déformés m'enveloppent et me percent à jour.
Je demande à Roger s'il est venu me dire que je suis fou. Il a un sourire entendu, et me certifie que j'ai toute ma tête, et que je ferais bien de boire un bon café avant d'y aller.
-Je suis obligé de venir ?
-Non.
Je nous sers deux tasses, et nous les laissons refroidir quelques secondes. La fumée qui s'en échappe a l'air de chercher le chemin de la sortie elle aussi. C'est peut-être con de se résigner et de boire du café, mais je suis à court d'inspiration.
Je sirote ma tasse en observant Roger du coin de l'œil, persuadé que si je le fixe assez longtemps, je saurai s'il est réel. Les gens qui existent laissent refroidir leur tasse plus longtemps pour ne pas se brûler la langue. Les gens qui n'existent pas se réveillent sur des lits de camp et rêvent de jours meilleurs.
-Je viens avec toi, dis-je à voix basse.
Roger acquiesce d'un air satisfait. Je finis mon café en vitesse pour ne pas le boire froid. J'enfile des fringues, et embarque du papier et des stylos histoire de dire que je suis encore écrivain. Je passe mon grand manteau d'hiver, et remarque avec une pointe de tristesse que je n'ai rien d'autre à emporter.
Je laisse un mot pour mes amis sur la table : « J'ai oublié mes clopes à Genève. Je reviens ». C'est marrant. Ça les fera rire.
Nous descendons les escaliers presque à reculons. L'énergie reviendra quand le café aura fait effet. En sortant de l'immeuble, je reconnais à peine la rue. Elle est baignée de pluie et de soleil, échappant à toute logique. Les gouttes brillent comme du métal, et c'est comme si des poignards étincelants tombaient sur la ville.
Je questionne Roger sur la suite des événements. Il me propose d'aller boire encore plus de café, et je ne peux qu'accepter. Il précise qu'on a un rencard mais je ne l'écoute déjà plus. Mon esprit est accaparé par ce temps bizarre, mêlé de reflets dorés et d'ombres grises.
La pluie et le soleil n'ont rien de poétique. Leur présence simultanée n'est pas la métaphore d'un combat ou d'une valse. Ils se confrontent par hasard, et font leur vie chacun dans leur coin en feignant d'ignorer l'autre.
L'un me réchauffe et l'autre me fait grelotter. Les nuages passent et ma prétendue folie se détache par petites touffes. Tout rentre peu à peu dans l'ordre, comme dans une vie normale où l'on a pas envie d'autre chose.
Qu'est-ce qui m'a pris d'avoir envie d'autre chose ?
Roger m'indique un bistrot retranché derrière quelques sacs de sables, protégé par deux miliciens qui discutent du temps qu'il fait. L'un d'eux m'ouvre la porte, et je me laisse happer par la douce chaleur qui vient de l'intérieur. Je laisse les sons, les odeurs glisser sur moi sans s'accrocher. C'est comme une bouffée d'air après une longue apnée. Je navigue à nouveau à vue, et me demande comment j'ai pu rester aussi longtemps dans les profondeurs.
Roger me pousse jusqu'à une table, et m'invite à m'asseoir. Sancho, sur la banquette d'en face, m'adresse un clin d'œil. Un homme est assis à côté de lui, dont le visage me donne brusquement des sueurs froides.
-Irving Rutherford, présente Roger.
Ce visage c'est le mien. En mieux. L'homme qui me fait face est bien rasé, il a bonne mine, et ses vêtements sont plus élégants. Mais c'est moi.
Je prends une grande inspiration. Irving Rutherford me tend sa main, mais je refuse de la serrer, avouant que ça fait beaucoup d'un coup. Sancho fait la remarque que la ressemblance est vraiment parfaite. Franchement j'ai vraiment pas besoin qu'il le souligne.
Roger le traître, avec un sourire enfantin, explique que j'ai besoin d'être seul avec moi-même pour discuter. Le révolutionnaire et lui me laissent face à Irving Rutherford, qui me dévisage avec sérieux. C'est la vie à la surface. C'est ce qui arrive quand on sort des profondeurs.
Je demande à Irving si c'était lui qui était debout pendant que j'étais dans le coma, et si c'était lui qui a laissé un post-it dans le cercueil de Gilbert Bécaud. Il soupire comme si ma question puait la stupidité.
-Tu peux pas t'en empêcher, me répond-il. Il faut toujours que tu cherches à tout savoir.
-Ça me rassure.
-Tu fatigues.
-C'est vrai.
Il gratte une tache imaginaire sur sa chemise propre. Vincent avait tort, on ne devient pas ce qu'on projette. La vie rêvée se fait sans nous, et au mieux on peut espérer avoir moins d'ambition. Je questionne Irving sur ce qu'il écrit en ce moment, et il me fait l'ébauche d'une histoire de tragédie familiale.
-Ça a l'air cool.
Si je craque maintenant je vais paraître encore plus con. Le truc à faire c'est de se ressaisir et de soigner sa sortie. Je ne dormirai pas à Paris ce soir, et ça m'évitera sans doute de faire d'autres rêves déprimants.
-Tu vas aller où ? me demande Irving.
-J'ai quelques idées. Tu vas prendre ma place ?
-Non. Ta place ne m'intéresse pas vraiment.
Il préfère sans doute rester avec Sancho le fou et Roger le fumier. Je lui demande si mes amis à moi seront laissés tranquilles.
-C'est pas comme s'ils étaient vraiment dangereux, me répond-il.
Il fronce légèrement les sourcils, sans doute ébloui par la lumière blanche qui vient de la rue. J'éprouve soudain une grande tristesse en réalisant que j'ai enfin rencontré Irving Rutherford, et que je n'ai pas grand chose à lui dire. Mais lui aussi semble se foutre pas mal que j'existe.
Nous restons quelques minutes assis à nous échanger des banalités, sans être vraiment présents. Lui est déjà à l'assaut de sa propre existence, et je suis déjà loin de Paris. Nous discutons littérature, sans nous énerver lorsque nous ne sommes pas d'accords. Il finit par me remercier à demi-mots de lui avoir donné vie.
-Bonne chance avec tout, dis-je. Moi j'aurai essayé.
-Moi je réussirai.
-J'en doute pas.
Je me lève de la banquette, et j'ai l'impression d'avoir perdu quelques kilos ces dernières minutes. Mon manteau d'hiver me pèse, et mon genou n'est pas encore assez remis pour que je puisse marcher totalement droit. Irving me raccompagne vers la sortie, et j'adresse un signe de la main à Sancho et Roger qui m'observent d'un air un peu sadique.
Nous débouchons sur la rue fraîche, et quelques gouttes de lumière viennent attaquer mon visage. Irving ne semble pas dérangé par le froid. Je m'éloigne de quelques pas incertains, avant de me retourner vers lui pour lui poser une dernière question. Je lui avoue qu'avec toutes ces histoires de téléportations et de comas, je ne sais plus très bien qui de lui ou moi a fait quoi.
-C'est pas très clair comme question, plaisante-t-il.
Je continue ma route en me rabâchant que de toute manière j'ai tout le temps maintenant de préciser mes pensées. Je passe mes mains sur mon visage, et le frotte comme pour en gommer toute émotion. La pluie et le soleil n'en finissent pas de se chamailler, et les poignards étincelants fondent sur nous sans la moindre pitié. C'est un combat qui nous dépasse, et on fait juste partie des dégâts collatéraux.


Fin de la première partie

2 mars 2010

25. Xavier le ninja

-L'idée, c'est de rien laisser passer, jamais.
J'explique à Xavier que c'est impossible, qu'on a des faiblesses et que donc des fois on passe des journées sur son canapé. Il m'observe d'un œil amusé, et me fait remarquer que j'ai ressorti mon jogging infâme. Il commence à remplir un sac de sport avec des objet divers : Lampe, tournevis, corde...
-C'est possible mec, poursuit-il. Je dis pas qu'on est pas faible, je dis qu'on doit jamais se laisser aller.
-Ouais. Super facile.
Il m'énerve. Il veut notre bien, et du coup il passe son temps à nous faire chier. Je le regarde charger son sac avec sérieux, y rajoutant cette fois ses nunchakus fétiches. Je pourrais juste arrêter de porter des joggings quand j'ai décidé de ne rien faire. Je pourrais arrêter de ne rien faire.
Je crois qu'on est pas des chevaliers, et qu'on est pas des magiciens. On est des faibles en guerre avec la peur du vide, et si on flippait pas de mourir et de retourner au néant, sans doute qu'on passerait nos vies sur des canapés.
Je me lève péniblement, et vais ouvrir la fenêtre pour avoir un peu d'air. Je m'allume une cigarette, et la première bouffée me brûle un peu la gorge. Dehors tout est calme, parce que tout le monde est cloitré sur son propre canapé. J'ai besoin de sortir.
-Tu veux venir ? me propose Xavier.
J'acquiesce silencieusement, en regardant le soleil se coucher sur Paris. Il peint les immeubles avec des couleurs brûlantes, et souligne tout ce qui est beau. Je retire mon jogging pour passer un jean, et Xavier me fait remarquer que j'aurais pu passer dans la pièce d'à côté pour me changer.
-Mais c'est peut-être ta manière d'essayer de me draguer.
Je devrais peut-être commencer par me raser convenablement et arrêter de laisser traîner un peu partout des tasses de café à moitié bues. Et accompagner Xavier dans ses croisades absurdes, parce qu'au fond je n'ai rien de mieux à faire.
Nous quittons l'appartement et allons marcher dans les rues crépusculaires. Il n'y a personne dehors, et trop de gens dans nos vies. Le soleil faiblit chaque seconde, et nous traçons la route pour aller nous cogner contre tous les abrutis du monde. Je devrais écrire au lieu de chercher à vivre les choses.
Paris ne va pas mieux. Les mêmes boulevards dévastés s'offrent à nous, les mêmes solitudes incompréhensibles. Les guerres n'ont pas de fin.
Xavier me parle de l'art du ninja, le ninpo. Il m'explique que le but avoué n'est pas de faire étalage de son courage, mais de chercher l'efficacité.
-Il faut toujours se protéger, s'endurcir. Et ensuite il faut arriver à prévoir les trucs qui vont te tomber dessus pour pouvoir les empêcher.
-C'est aussi ce que font les écrivains.
-Alors t'es un mauvais écrivain.
Je souris à pleines dents. L'air est doux et les rues deviennent un peu plus sombres à chaque pas. Mon ami m'emmène dans les profondeurs de la capitale, vers la Seine, en ajoutant qu'une bonne connaissance de l'ennemi est aussi très importante dans le ninpo.
-Tu sais où ils sont ?
-Ils sont pas très discrets, me répond-il.
Les jours passent tellement vite que je ne me rends plus compte de rien. Il fait presque nuit maintenant, et je ne me souviens plus très bien de ce que j'ai fait aujourd'hui. J'ai même du mal à savoir ce que je fais en ce moment.
Je perds mon temps pendant que le monde avance. Et si demain je trébuche, je donne pas cher de ma peau.
Nous arrivons dans le centre de Paris, en piteux état. On a pas idée de saccager une ville comme ça. Xavier, sûr de lui, me guide à travers les petites rues, évitant certaines artères qu'il juge trop dangereuses.
Il m'emmène jusqu'à un immeuble qui ne se différencie en rien des autres, et sort un grappin de son sac. Je lui demande s'il se fout de ma gueule. Avec un rictus, il commence à faire tournoyer son grappin, et le lance assez haut pour qu'il s'accroche au balcon d'une fenêtre ouverte du deuxième étage.
-Si je te dis que je sais pas grimper à la corde, dis-je, tu me traites de pédé ?
-Oui.
Et sans plus attendre, il se hisse le long de la liane qui mène au deuxième étage. Je crois que ce connard a encore pris du muscle. Il grimpe à la force des bras, sans même s'aider de ses pieds, et je suis certain qu'il le fait juste pour m'énerver.
Je me saisis de la corde et commence à escalader l'immeuble péniblement. J'aperçois Xavier, qui enjambe la rambarde du balcon et inspecte l'intérieur de l'immeuble. Je le rejoins à bout de souffle et il m'ordonne de faire moins de bruit.
Puis il pénètre par la fenêtre, silencieux comme un ninja, et me fait signe que la voie est libre. Nous nous retrouvons dans un appartement presque vide, où trônent simplement une table et quelques chaises, ainsi que plusieurs caisses entassées dans un coin.
Xavier sort ses nunchakus de son sac et me les donne. Il se réserve le flingue que Vincent a confisqué à Sancho le révolutionnaire.
-Mec, dis-je un peu apeuré, je suis pas sûr que...
-Tu sais qu'on a pas le choix, me coupe-t-il en me faisant signe de me taire.
Il va ouvrir délicatement l'unique porte de la pièce, qui donne sur un couloir vide. Nous le remontons lentement, écoutant à chaque porte sans trouver de signe de vie. Jusqu'à ce bruit bien caractéristique qui vient de la dernière porte. Un son de chasse que l'on tire.
Xavier m'explique quelque chose par signes, que je ne comprends absolument pas. Et avant que j'aie eu le temps de lui demander de préciser sa pensée, il ouvre brusquement la porte des toilettes.
Sancho se retrouve face nous, à peine reboutonné, surpris comme devant une invasion extraterrestre. D'un mouvement brusque, Xavier l'attrape à la gorge pour le plaquer contre le mur, avant de lui braquer son revolver entre les deux yeux.
-Je te conseille de te taire et de pas appeler tes potes, chuchote-t-il.
-Je suis tout seul, répond Sancho d'une voix claire et forte qui fissure le silence et me fait sursauter.
Xavier lui met la main sur la bouche et écoute les alentours. Il semble vouloir s'assurer que l'appartement est bien vide. Pendant ce temps, je joue un peu avec mes nunchakus, cherchant la meilleure manière de les tenir, pas tant pour être plus combatif que pour avoir l'air moins ridicule. Sancho marmonne une phrase incompréhensible, et Xavier ôte sa main de son visage.
-Vous êtes tarés de venir ici, recommence-t-il. J'ai bien envie de vous tuer pour ça.
Xavier lui colle un coup dans le nez avec la crosse de son arme, et j'entends un petit craquement. Sancho réprime un cri de douleur et porte ses mains à son visage en plissant les yeux. Xavier se retourne vers moi et me demande de dire quelque chose.
-Quoi ?
-Un truc impressionnant pour qu'il comprenne, me répond-il. Moi je sais pas quoi dire.
Je triture les nunchakus en cherchant mes mots. Mon ami a sans doute raison. Que ces fils de putes viennent chez nous, ça veut dire « Je sais où t'habites ». Venir chez eux, c'est répondre « J'en ai rien à foutre ». Les ninjas prévoient les trucs qui vont leur tomber dessus pour pouvoir les empêcher.
-D'accord, dis-je en fixant Sancho dans les yeux. Le truc c'est que tu t'attaques à des abrutis. Moi je suis stupide comme c'est pas permis, et Vincent il est d'une fierté démesurée. Le truc qui rend Xavier trop con c'est qu'il laisse jamais rien passer.
Je déglutis péniblement. Xavier lève les yeux au ciel, comme si je lui faisais un peu honte. Les yeux de Sancho sont ronds, comme s'il s'attendait à tout sauf à ça comme menace. Mais lui ne me connaît pas vraiment. Je poursuis mon discours en découvrant mes mots une fois qu'ils ont été prononcés.
-Et comme Xavier est un con, tu peux pas t'attaquer à lui. Si tu lui coupes le bras, il te foutra des coups de moignon dans la gueule. Et crois-moi, il n'y a aucun moyen de le raisonner.
Je jette un regard à mon ami, comme pour lui faire comprendre que j'ai terminé. Sancho a une expression indéfinissable, sans doute parce que ses mains cachent son visage en sang. Xavier me réconforte en me disant que c'était pas si mal.
Soudain, la porte d'entrée au fond du couloir s'ouvre. Xavier lâche brusquement Sancho, et m'attrape par l'épaule pour m'entraîner avec lui sur la porte entrouverte, dans laquelle il donne un grand coup de pied pour bousculer la personne qui se trouve derrière.
Nous déboulons dans la cage d'escalier comme des vikings à l'attaque d'un village. Je hurle à en vomir mes tripes, pendant que Xavier tire à l'aveuglette des balles derrière lui. Et puis je fais l'erreur de me retourner une fraction de seconde, et de reconnaître la personne qui se trouvait derrière la porte.
Mes jambes deviennent presque molles, et je m'appuie sur Xavier pour ne pas tomber en dévalant l'escalier. Les coups de feu, les cris, les larmes qui pointent et que l'on réprime. Les personnes qui ne savent pas se faire oublier.
-C'était Roger, dis-je dans un souffle.
Xavier me demande si je parle de Roger mon ami imaginaire, en me portant presque pour sortir de l'immeuble. Arrivés dans la rue, nous nous faisons canarder de la fenêtre par Sancho, qui s'est armé d'une carabine pour changer.
Nous courons à nous en faire éclater les poumons. Nous slalomons entre les poubelles renversées et les voitures éventrées, en hurlant comme des ninjas. Nous mettons bien quelques minutes à nous apercevoir que personne ne nous suit.
Tout va toujours de travers, alors autant ne pas s'attendre à autre chose, et ne pas espérer tout et n'importe quoi. On veut que certains partent, que d'autres reviennent, mais au fond les gens s'en foutent et font ce qu'ils veulent. Les ninjas l'ont accepté depuis longtemps. Ce serait complètement con de dire que je suis malheureux.


Notes : -Discours face à Sancho un peu maladroit
-Tu ne sais pas monter à la corde

Prochainement : Irving Rutherford
 
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