Bienvenue sur mon blog. "Irving Rutherford", c'est mon pseudo, et c'est aussi un roman feuilleton qui paraît tous les mardis. Je sais pas vous, mais moi je déteste les écrivains qui racontent leur vie, même si c'est un peu ce que je fais. Alors du coup j'arrive pas à m'empêcher de rajouter deux ou trois trucs en plus, pour agrémenter le quotidien.
Si c'est votre première visite, je vous invite à lire un épisode ou deux. Chacun peut se lire indépendamment, mais le tout est relié par une continuité, et les vieux épisodes sont gardés dans les archives.
Je souhaite une bonne lecture aux nouveaux lecteurs comme aux habitués.


26 janvier 2010

20. Vincent esquive

-Fais-le.
-Faudrait peut-être aller chercher un médecin...
-Y a plus de médecins. Fais-le.
-J'aurais peut-être dû désinfecter la plaie.
-Sois pas pédé. Fais-le, bordel !
Je tire sur la pince et arrache la balle logée dans l'épaule de Xavier. Il pousse un hurlement démentiel, un cri à faire vaciller les meubles, à faire frémir les murs.
Il se met à me traiter de tous les noms, allant chercher dans les recoins de son esprit des insultes légendaires dont je ne soupçonnais même pas l'existence. Vincent, affalé sur le canapé dans son coin, sursaute. Je demande à Xavier s'il veut récupérer le projectile que j'ai extrait de sa chair avec tant de mal.
-Qu'est-ce que tu veux que j'en foute ? grogne-t-il, les yeux humides.
-Je sais pas. En souvenir.
-T'es vraiment trop con.
Les mains de Vincent tapotent nerveusement sur ses genoux, suivant un rythme qui n'appartient qu'à elles et qui n'est pas vraiment communicatif. Notre ami jette un œil à Xavier, qui s'affaire à frotter sa plaie avec une mixture à base de plantes broyées.
Vincent ne semble pas voir la blessure. Ses yeux réverbèrent les échos d'une bataille passée, et d'une guerre qui ne finira jamais. Il a l'air d'un patriarche inquiet pour sa petite communauté.
-Ils reviendront, lâche-t-il d'un ton lointain.
Il parle peut-être des connards de révolutionnaires qui veulent mon appartement et qui ont blessé Xavier. Ou peut-être qu'il parle des jours d'avant, passés à jouer aux jeux vidéos et à se prendre au sérieux. Le monde de Vincent se recroqueville face aux attaques, à mesure que les armées d'imbéciles l'encerclent et le poussent à se retrancher.
Xavier émet l'idée que la prochaine fois, en tout cas, il faudra plus que des nunchakus et de la chance pour repousser des mecs avec des flingues. Vincent inspecte le revolver qu'il a confisqué aux forcenés, maintenant à moitié vide. Je fais remarquer à Xavier que la purée de plantes qu'il étale sur sa plaie sent la fosse commune.
-Mec, me répond-il, ça sent le cul de ta mère.
Vincent ne rit même pas. A peine esquisse-t-il un sourire figé et nerveux. Les hordes de gobelins sont à nos portes, et j'imagine qu'il se sent responsable. Xavier est amoché, et va devoir oublier le nunchaku quelques temps. Et moi en défense je vaux que dalle.
En fait on s'est perdus en chemin, et on s'est retrouvé en terrain inconnu dans notre propre demeure. Mon appartement n'est plus qu'un petit entrepôt mal rangé, où traînent des objets inutiles durement gagnés. Vincent a esquivé jusqu'ici, et espère esquiver une fois de plus. Juste une fois.
-Qu'ils reviennent, dit-il. On va se les faire.
Xavier approuve en silence, et moi aussi, parce qu'au fond je n'ai rien de mieux à proposer. Vincent soigne le moral des troupes en nous parlant de types qu'il connait qui peuvent peut-être nous fournir deux ou trois trucs pour nous défendre, en restant plutôt évasif.
Je goûte la mixture cicatrisante de Xavier, sous le regard atterré de ce dernier. Les plantes qu'il utilise s'avèrent n'être pas trop mauvaises, une fois le premier goût amer passé. C'est la vie parisienne qui m'avait le plus manqué, avec ses discussions à n'en plus finir sur la meilleure manière de rester en vie.

Xavier me demande d'arrêter de me faire passer pour plus débile que je suis, et de me passer le tournevis cruciforme. Je lui répète que je ne sais pas duquel il s'agit.
-Tu m'auras pas, réplique-t-il. Je croirai pas que t'es aussi con.
-Fais gaffe, dis-je, ça ressemble presque à un compliment.
Je lui donne le cruciforme, avec un sourire. Xavier sourit en retour, avec un soupir fatigué. Il me demande de tenir la vis pendant qu'il l'enfonce de son bras valide. Même une épaule en lambeaux n'est pas une excuse pour me laisser travailler tout seul en supervisant de loin. Mais il faut avouer aussi que je serais capable de me la raconter après ça.
Grimpés sur des tabourets, nous apportons une touche final à notre dispositif de défense. Vincent fait irruption dans l'appartement, et nous lui hurlons de s'arrêter sur le pas de la porte. Je lui désigne une latte du plancher un peu branlante, et lui explique que s'il marche dessus il déclenchera les enfers.
-D'abord, dis-je, il y a ce seau accroché à la poulie que Xavier finit de fixer au plafond. Il se renverse et arrose la personne qui a marché sur la latte.
-Et en quoi mouiller les éventuels agresseurs les dissuade de nous défoncer ? me demande Vincent.
-Le seau sera rempli de soude, répond Xavier sans cesser de visser, aussi droit que c'est possible avec un seul bras.
J'informe Vincent de la seconde utilité du dispositif. Une alarme se déclenchera, nous avertissant si nous dormons de la présence d'intrus. Nous pourrons alors ouvrir la cage du chien d'attaque à côté de notre lit et le lâcher sur nos agresseurs.
-Quel chien d'attaque ? nous questionne Vincent, incrédule.
Xavier lui explique qu'il compte dresser un chien dans les prochains jours. Vincent passe sa main sur son visage, un peu las. Il enjambe la latte piégée, et va prendre sa place habituelle sur le canapé. Il pose son sac sur la table basse, et nous dévoile le maigre butin qu'il a pu récolter : Une boîte de balles pour le revolver et une machette.
-Mais bon, ajoute-t-il, si on a un piège plein de soude...
-On a pas encore de soude non plus, corrige Xavier.

Je n'aurai pas dû choisir le FA-MAS de l'armée française. Xavier, avec son UZI israélien, est bien plus redoutable. Je traverse en quelques secondes les quelques dizaines de mètres qui me séparent de l'abri antiaérien, pour échapper aux bombardiers que Xavier a appelés en renfort. Je saute par dessus quelques voitures, et accélère le pas, voyant se profiler au loin des formes sombres dans le ciel, chargés du feu rédempteur.
Je ne parviens pas à temps au bunker. Les avions déversent leur pluie divine qui atomise le moindre lézard à des kilomètres à la ronde, et je suis pris dans le souffle brûlant. Je n'ai même pas le temps de réaliser ce qui m'arrive.
Je me frotte les yeux et pose ma manette. Les lumières de l'appartement sont éteintes, et la lueur de la télévision nous donne à Xavier et moi des airs d'extraterrestres bleutés. J'évite de manifester mon mécontentement trop bruyamment, pour ne pas réveiller Vincent qui dort sur son canapé.
Xavier me demande si je veux refaire une partie, et je décline l'offre. Il éteint la console, et l'écran de télé devient entièrement bleu, ce qui accentue un peu plus nos gueules de visiteurs spatiaux. Je tapote légèrement les chaussures de Vincent, et ce dernier, sans avoir l'air de se réveiller, les enlève et se rendort.
-Demain tu m'accompagnes chercher de la soude ? me chuchote Xavier.
-Aucun problème. Et le chien d'attaque ?
-Un jour à la fois, d'accord ?
Il a sans doute raison. Ce soir nous dormons dans un appartement protégé par un seau vide, un porteur de revolver assoupi, et un sabreur manchot armé d'une machette. Mais chaque jour ensuite, le dispositif sera amélioré, et la révolution nous épargnera. Peut-être finirons-nous par construire des murailles, peut-être même que nous resterons fortifiés une fois que tout sera rentré dans l'ordre.
-Si tu veux des jours meilleurs, tu te bouges le cul, conclut Xavier à voix basse.
Un bruit sourd venant de dehors réveille Vincent en sursaut. Il attrape son revolver et se traîne en chaussettes jusqu'à la fenêtre, qu'il ouvre pour inspecter la rue. Une voix tonitruante, une voix connue, hurle « Par ici ». Nous apercevons la petite bande de révolutionnaires enragés postée à la fenêtre de l'immeuble d'en face.
-Mais c'est quoi votre problème ? leur crie Vincent.
-Aucun, répond leur chef. Ça finit ce soir.
Et sur ces mots, l'homme se saisit d'un lance roquette, qu'il place sur son épaule avec l'aide de ses potes. L'engin paraît lourd, et Vincent et moi restons figés sur place, pendant que Xavier renverse tant bien que mal un matelas et nous hurlant de venir se mettre dessous avec lui.
L'homme nous beugle « Mangez ça, bande de pédés » avec un sourire satisfait, et tire une roquette sur notre appartement. Il est déséquilibré par le recul de l'engin, et ses acolytes le soutiennent pour l'empêcher de tomber.
Le missile décrit une trajectoire hasardeuse. Il salue la rue endormie par une gerbe d'étincelles, et vacille vers nous, peu sûr de lui, avec un sifflement absurde. Il me fait penser à une bombe un peu ivre, totalement inconsciente de sa propre puissance. Je ne sais pas comment on va s'en sortir cette fois.
Il marche à grand pas vers nous, enjambant la rue, trottinant inexorablement vers la destruction totale du refuge que nous nous étions battis. Mais il n'a certainement même pas conscience de ses actes.
Il parvient à la fenêtre, comme pour saluer Vincent, qui reste immobile jusqu'au dernier moment, avant de se renverser en arrière pour esquiver. Les souffle de l'engin de mort qui passe au dessus de lui fait frémir sa moustache, et la flamme qui le propulse lui brûle quelques mèches de cheveux.
La roquette enjambe Vincent, à moins que ne soit Vincent qui lui cède le passage. Puis elle continue son petit bout de chemin, ne rencontrant plus d'obstacles. Xavier hurle quelque chose que je ne saisis pas bien.
Le missile rencontre le mur du fond de l'appartement. Il se compacte légèrement, se tasse contre le béton, avant de voler en éclats. Une marée de flammes jaunes et oranges en jaillit comme un geyser. Elle croît à grande vitesse, brûlant les meubles alentours, dont le précieux canapé de Vincent.
La fontaine de flammes prend ses aises, et se fait de la place. Mon champ de vision est saturé de lumière, et de formes mouvantes aux couleurs chaudes. J'ai l'impression d'assister à la naissance d'une créature monstrueuse gigantesque, constituée de magma, mais elle est bien trop lumineuse pour que je puisse la distinguer clairement.
Mon champ de vision se brouille, et je ne perçois plus que de vagues hurlements dans le lointain, au milieu de l'immensité orangée, qui vire rapidement au noir.
Puis le silence.
Je suis dans ce monde obscur et flottant qui n'existe que dans ma tête. Mon genou, celui qui s'est fait opérer, se met à me faire un mal de chien. Au milieu des ténèbres, je n'aperçois plus rien. Plus de super-héros, ni de gobelins, ni de sirènes aux gros nibards. Juste un genou de plus en plus douloureux.
J'ouvre les yeux et ne réalise pas tout de suite où je me trouve. Je suis allongé dans un lit, et Roger se trouve assis sur une chaise à mon chevet. Me voyant réveillé, il se lève avec un grand sourire et m'annonce que l'opération s'est bien passée, mais que j'ai mal réagi à l'anesthésie.
Mon genou me brûle et ma tête est ankylosée. Je lui demande ce que c'est que toute cette merde, reconnaissant peu à peu la chambre de l'hôpital suisse où je me trouvais il y a une éternité.
-Tu as fait un petit coma, m'annonce Roger. Pas long.


Note : Idée du seau un peu cartoon

Prochainement : Roger prend son temps

19 janvier 2010

19. Sans moi

Dans ce rêve que j'ai fait, la terre tournait parce que je courais. Je traçais la route à toute vitesse par la campagne, croisant de temps à autre un petit village. Et au début je croyais que c'était simplement moi qui avançait. Puis je me suis mis à grandir, à moins que ce n'ai été la planète se soit mise à rétrécir. Je grandissais tellement que je devenais plus grand qu'elle.
Mais je continuais à courir, et je réalisais que c'était mes enjambées qui la faisaient tourner. Et ravi, je poursuivais mon effort de plus belle, juché sur cette grosse boule, comme un artiste de cirque. Et la terre roulait sous mes pieds.
Puis je me suis réveillé, et me suis demandé si je n'était pas un peu mégalomane.
La vérité c'est que je ne fais pas tourner le monde, et que chaque chose continue d'exister pendant mon absence.

Souvent, j'essaye de m'imaginer ce que font les gens quand je ne suis pas là. Dieu vit avec ses regrets. Ma mère tricote un pull avec une tête de mort dessus, pour me faire plaisir. Roger cicatrise.
Et Vincent et Xavier sont solidaires. Ils habitent mon appartement à Paris, et occupent leurs journées comme ils peuvent depuis que la ville est paralysée. Ils voient chacun leur Martine, et j'imagine Vincent être plus investi que Xavier, et Xavier être plus sérieux que Vincent.
Xavier s'occupe de ses plantes, et fabrique des armes artisanales pour faire face à la révolution qui va avoir lieu. Vincent cherche de la compagnie, et arrive à faire passer pas mal d'amis à lui dans mon appartement, malgré les communications coupées. Il discute avec eux de politique, et avance des idées pas trop idiotes, pendant que Xavier fabrique des nunchakus dans son coin en l'écoutant d'une oreille distraite.
Parfois Vincent sort voir sa copine, et Xavier fait venir la sienne, mais passe d'abord une bonne heure à faire le ménage. La vie s'organise peu à peu, et souvent Xavier va jusqu'au centre de Paris à pied, puis revient à l'appartement avec quelques informations qu'il a pu glaner. Vincent, pendant ce temps, s'entraîne au nunchaku en privé.
Et je parierais qu'un beau jour, alors que Xavier est posté à l'ordinateur, et que Vincent fume sur le canapé, il remarque que mon blog s'affiche sur l'écran.
-C'est quoi ça ? demande-t-il alors, incrédule.
-C'est le blog du cancéreux, répond Xavier. Je fais mon devoir d'agent, je poste ses nouvelles en ligne en attendant qu'il revienne.
-Comment c'est possible ?
-Il avait pris de l'avance.
-Non, je veux dire « Comment tu fais pour avoir internet ? ».
-Je bricole.
C'est probablement le moment où Vincent se prend la tête dans les mains en se demandant s'il va faire manger ses nunchakus à Xavier. Alors pour se calmer il se met à lire un bouquin au hasard dans ceux qui traînent chez moi, ou peut-être qu'il vérifie que Xavier ne le regarde pas pour feuilleter une bande dessinée. Mais je suis certain qu'il relit quelques passages d'un livre de Bret Easton Ellis.
Les jours passent, et les idées germent dans la tête de Vincent, pendant que Xavier profite de son accès à internet pour regarder des matchs de rugby. L'hiver dehors est toujours aussi rude, et mes deux amis occupent le temps qui leur est attribué à tenter de percer l'incertitude des mois qui vont suivre. Parfois ils discutent de moi à demi-mots, se demandant ce que je peux bien foutre pour mettre autant de temps à rentrer.
-Vu la dégaine qu'il se tape, avance Xavier, il doit avoir du mal à être pris en stop.
Vincent fait des allers-retours dehors, de plus en plus fréquents. Il explique qu'une idée lui est venue, et qu'il en parlera bientôt. « Il faut continuer sur sa lancée, toujours », lâche-t-il de temps en temps d'une voix mystique qui fait rire Xavier. Parce qu'en fait ça tombe sous le sens.
Xavier réserve son jugement sur les choses, pour être sûr de ne pas dire de conneries. Il se prépare en silence à défendre les siens, et même s'il a souvent des idées arrêtées, il se tait pour ne pas prendre le risque de se tromper. Mais si j'étais là j'aurais droit à l'exposition de ses théories, et à une initiation au nunchaku.
Un jour Vincent rentre plus tard que d'habitude, et rassure Xavier qui s'inquiétait.
-Y a plus grand chose à piller, alors les méchants restent chez eux. Maintenant je vais te dire ce que je préparais.
L'idée de Vincent m'est un peu obscure. Peut-être bien qu'il a trouvé un moyen de faire fructifier le travail de Xavier. Toujours est-il que dans les jours qui suivent, des personnes inconnues défilent à l'appartement pour utiliser la connexion internet. Certains pour communiquer avec leur famille, d'autres pour poster des photos de Paris, et quelques uns pour mettre à jour leur profil facebook.
Xavier observe les gens défiler d'un œil un peu méfiant, mais Vincent le rassure et le félicite si souvent qu'il finit par abandonner ses réticences. Après tout lui-même n'a aucun sens commercial. C'est une des raisons pour lesquelles il est mon agent littéraire.
La petite vie de l'appartement prend un tour différent. Le mot se propage un peu rapidement au goût de Xavier, mais grâce aux efforts de Vincent il y a toujours à manger sur la table, des cigarettes, et quelques jerricanes d'essence entassés dans un placard. Mes deux amis font aussi pas mal de rencontres, allant de l'étudiant étranger qui leur enseigne quelques notions d'espagnol, au trader au chômage technique qui vient suivre les cours de la bourse par nostalgie, en expliquant qu'il est sur liste d'attente pour l'évacuation vers les États-Unis.
C'est en parlant avec lui que Xavier a une pensée pour moi, se demandant comment j'ai seulement pu passer la frontière suisse. Il confie à Vincent qu'il a oublié de me le demander la fois où je me suis téléporté.
-Tu vas arrêter avec cette histoire de merde ? lui demande ce dernier, irrité.
-J'ai été voir des articles sur le sujet, et aucun scientifique n'exclut que ce soit possible techniquement.
Vincent hausse les épaules, et va annoncer à un journaliste installé à l'ordinateur que son temps de connexion touche à sa fin. L'homme lui demande un délai, arguant qu'il doit finir un article pour un grand quotidien, et Vincent, pris de scrupules, lui accorde quelques minutes.
L'hiver est plus long que prévu, et la situation prend de l'ampleur. L'intimité de mes amis est chaque jour un peu plus mise à l'épreuve. Il prennent leurs douches la nuit, et partagent leurs repas avec des politiciens et des manifestants.
C'est d'ailleurs les rebelles qui finissent par poser problème. Un jour que Vincent est enfermé dans la salle de bain, occupé avec mon rasoir à faire renaître une moustache de la barbe touffue qui a envahi son visage, pendant que Xavier transfère un cactus dans un plus grand pot, un homme connu pour prendre part aux émeutes vient frapper à la porte.
Vincent va ouvrir à la hâte, et réalise un peu honteux qu'il est torse nu. L'homme est accompagné de deux amis à lui, peut-être trois, et somme mes amis de prendre part à la révolution qui est en marche.
-Mais on ne fait que ça, réplique Vincent.
L'homme lui explique qu'il compte venir installer une sorte de quartier général dans mon appartement, et que grâce à internet et aux vivres présentes, la rébellion va pouvoir s'organiser efficacement. Que plusieurs camionnettes sont en route, chargées d'armes et d'ordinateurs, sans doute volés pendant la première vague de pillages.
C'est probablement à ce moment là que l'utopie du moustachu devient bancale. Il tente de justifier son refus en pesant ses mots, s'efforçant de ne pas avouer au résistant qu'il le trouve complètement malade. Mais malgré tout le ton monte, et les hommes forcent le passage vers l'intérieur de l'appartement, imposant une réquisition du lieu au nom de la « cause révolutionnaire ».
Leur surprise est grande lorsqu'ils tombent sur un Xavier armé de nunchakus, un bandeau noué sur le front. Vincent, plus pragmatique, attrape son bon vieux casque de moto, qu'il brandit d'un air menaçant.
L'homme a un rire nerveux, et leur demande s'ils comptent vraiment les impressionner avec des armes aussi miteuses, en leur conseillant de les lâcher s'ils ne veulent pas le voir revenir avec un lance-roquette. Puis, comme pour étayer son point de vue, il sort un revolver de son blouson, sans pour autant le diriger sur qui que ce soit.
La suite est un peu floue. Xavier fonce sur l'homme armé, et plusieurs balles sont tirées. Vincent hésite bien quelques secondes, et les hommes accompagnant le révolutionnaire aussi. Il pense qu'après tout les choses continuent simplement sur leur lancée.
Sans savoir ce qu'il fait, ou ne le sachant que trop, il fonce dans le tas à grands coups de casque de moto. L'entrainement paye, et Xavier désarme le forcené en lui cassant la main au passage. Le revolver reste une éternité par terre avant que Vincent ait la présence d'esprit de le ramasser.
Le moustachu pacifie la situation. Il reconduit les rebelles vers la sortie en leur hurlant qu'il ne plaisante pas, comme pour s'en convaincre lui-même. Les deux sous-fifres soutiennent leur chef un peu sonné, qui le gratifie d'un sourire ensanglanté.
Vincent les fait descendre dans la rue, sans prudence, sans ressentiment, et le vide s'empare de lui. Il reste planté à les regarder s'éloigner d'un œil acéré, vérifiant qu'ils ne rebroussent pas chemin. Le revolver pèse des tonnes et le vent froid vient cogner son front brûlant.
Il s'assoit sur le trottoir et s'allume une cigarette. Les jours sont mouvementés, et il essaye de ne pas sombrer avec le commun des mortels. Mais Xavier est là pour le protéger, et il a assez de nourriture pour tenir l'hiver.
La vie est le rêve que j'en fais, et j'observe mon ami de loin, avec attention. Il passe la main sur sa barbe qu'il n'a pas fini de raser. Il frissonne, et sourit en réalisant qu'il est toujours torse nu. Il décide de tout de même finir sa cigarette dehors. De toute façon la rue en a vu d'autres.
Il lève les yeux vers moi, et plisse les paupières. Il ne semble pas étonné. Je marche dans sa direction, et j'ai beau réfléchir, je ne peux pas m'imaginer un meilleur moment pour faire mon grand retour.
-T'as pas l'air de boiter, me dit-il d'un air bienveillant.
-T'as pas l'air de tout maîtriser.
Il jette sa cigarette au loin, le plus loin possible, comme si elle le dégoûtait. Il pose la tête entre ses genoux, cherchant un réconfort qui prend son temps pour arriver.
-On finit par devenir ce qu'on projette mec, me répond-il. T'es bien placé pour le savoir.
Les secours ne viendront pas, mais je dirais qu'il s'en fout. On va pas attendre que les tempêtes passent, parce que sinon elles nous emporteront dans leur sillage. On ne sera pas charriés par les marées, on n'abandonnera pas nos corps au roulis, et on encaissera les vagues.
On ne laissera pas les choses continuer sur leur lancée.


Note : Attention aux clichés

Prochainement : Vincent esquive

12 janvier 2010

18. Martine introuvable

Marseille pour moi, c'est un peu comme Bagdad pour le reste du monde. C'est une ville qui me veut du mal, et j'avais juré de ne jamais y retourner. Putain, Martine, qu'est-ce que tu avais besoin de venir ici...
C'est le début de l'après-midi, mais les terrasses du vieux port sont déjà pleines. Un soleil anormal pour cette période de l'hiver fait étinceler les milliards de bateaux amarrés, comme un gigantesque garage de voitures de luxe.
Je réajuste la capuche de mon manteau d'hiver pour mieux cacher mon visage. La chaleur me pèse, et je remarque que beaucoup de gens portent de simples chemises. Ici l'été est permanent, mais les gens qui vivent dans la région ne le réalisent même pas. C'est peut-être pour ça qu'ils deviennent tous fous.
Je rentre dans un café et vais jusqu'au téléphone. Le patron m'interpelle pour me dire que toutes les lignes sont coupées, et je lui réponds que je cherche juste une adresse dans l'annuaire. Puis il me dévisage, et me demande si on se connait.
-Je ressemble à beaucoup de gens, dis-je en rougissant.
-Je dirais pas ça pourtant, objecte-t-il. Vous avez un visage particulier.
-C'est parce que je suis assez pâle.
Je baisse les yeux et m'intéresse au bottin. En l'épluchant, je cherche le nom de Martine, priant pour qu'elle soit hébergée par un membre de sa famille. Je trouve une dizaine de personnes correspondant à son patronyme, éparpillées aux quatre coins de la ville.
Je referme l'annuaire, et remarque que le parton m'observe toujours de derrière son comptoir. Il interpelle son serveur et me désigne du doigt. Je m'empresse de sortir du café, sans rien commander.
Dehors le soleil ne faiblit pas. La ville est suspendue à la mer, et c'est comme si chaque habitant était en instance de partir. Ici rien n'a d'importance, parce qu'on peut s'échapper à tout moment, et c'est ce qui me fait péter les plombs.
Je presse le pas pour me rendre à la première adresse que j'ai notée. Il faut que je quitte la ville avant la tombée de la nuit, sinon je risque de ne plus pouvoir me cacher. Les gobelins fondent sur Marseille aux premiers signes du crépuscule, et persécutent les gens un peu sérieux comme moi. Les bars s'emplissent d'une furie sans nom, d'une clameur inconsciente de tout danger, et inondent les rues de couleurs absurdes et de récitals mal composés.
Je prends quelques raccourcis que je connais, pour éviter les grandes artères. J'arrive au premier immeuble de ma liste, et sonne. Je tapote légèrement du pied, comme pour dire aux occupants de ne pas me faire attendre trop longtemps dans la rue.
Un homme ouvre la porte, et paraît stupéfait de me voir. Je lui demande à voix basse si Martine se trouve chez lui, et il reste muet. Il m'inspecte de la tête aux pieds, et me gratifie d'un sourire enfantin.
-Vous êtes Barry, dit-il.
Je détale comme un lapin. Je cours aussi vite que je peux, murmurant « putain de merde » en boucle, et vais me réfugier dans une ruelle vide. Un besoin irrépressible de hurler vers le ciel monte en moi, que je réprime parce qu'il faut bien rester caché. Alors je sors un marqueur de ma poche et commence à inscrire « j'encule Barry » sur le mur d'un immeuble.
Un vieil homme qui passe à ce moment là murmure « traître », sans s'arrêter. C'est pas possible que je soie là. Ça n'a aucun sens que mes baskets viennent fouler à nouveau ces rues, et que je respire encore l'air de la méditerranée.
Comment faire confiance à une mer sans marée, à une ville plus étendue que Paris, et à un peuple qui porte chaque vêtement une taille trop petite ?
Je range mon marqueur et m'allume une cigarette. J'essaye encore une fois de faire des ronds de fumée, sans y arriver. La prochaine fois que je croiserai Vincent, je lui demanderai de m'apprendre.
Je chasse la pensée de ma tête. Au fond, je crois que je ne suis plus si loin de Paris. Le soleil décline peu à peu sur la cité phocéenne, me faisant comprendre que je n'échapperai pas aux gobelins, et que je vais devoir combattre. Que le temps s'échappe trop vite pour qu'on aie pas l'impression de le perdre, et que du coup tout ce qu'on peut faire, c'est sauver quelques meubles en évacuant constamment, comme des réfugiés.

C'est les quartiers nord. C'est un enchevêtrement de petites tours bétonnées, beaucoup moins impressionnantes que celles de chez moi. C'est beaucoup moins de monde, aussi. Mais y venir la nuit c'est du suicide.
J'arrive à la dernière adresse sur ma liste, à la dernière chance de trouver Martine. Aussi peut-être la fin du chemin, parce que je commence sérieusement à penser que je vais me faire buter. Je rentre les épaules et enfonce ma capuche sur mes yeux. J'avance entre les tours sans faire de vagues, m'imaginant des snipers postés sur les toits, prêts à m'abattre, et des enfants sur les starting-blocks pour venir détrousser mon cadavre. J'en viens même à me figurer les pittbulls qui se chargeront de faire disparaître mon corps. Marseille c'est Bagdad.
Je finis par trouver la tour que je cherchais. Beaucoup de lumières sont encore allumées, et je me demande un instant pourquoi je n'ai croisé personne dehors. Je pousse la porte du hall, et étouffe un cri de stupeur. Assis un peu partout, dos contre le mur, des bières à la main, sont disposés une dizaine de jeunes marseillais.
-Mais putain, vous m'avez fait peur les mecs, dis-je d'une voix blanche. Pourquoi vous êtes pas dehors ?
L'un d'eux m'examine comme si je venais d'une autre planète, et avale une gorgée de bière. Un autre me rappelle en passant sa main sur son crâne rasé qu'il fait super froid dehors. Puis il m'inspecte de la tête aux pieds, et me demande de retirer ma capuche.
-J'ai pas trop envie, dis-je d'une voix tremblante.
-Retire-la, putain, fais pas chier !
C'est finalement arrivé : Je vais mourir. Je retire ma capuche et vois les visages s'illuminer autour de moi. Plusieurs crient « C'est Barry ! » pendant que la honte presse mon cœur pour en faire de la purée. Je vais crever comme un chien, rougissant à en cuire, vomissant ma honte jusqu'à ce que je n'existe plus.
-Putain, crie l'homme au crâne rasé, t'es une vraie star ici, mec !
-Je sais, dis-je en baissant les yeux.
-On a vu le film au moins cent fois ! Tu joues comme De Niro, frangin ! Putain, la scène du m16...
Il mime le bruit du m16, et me colle une grande claque dans le dos. Les autres sortent leurs portables et commencent à me prendre en photo, me demandant si ça me dérange pas. Puis ils demandent à un dénommé « Joe » d'aller chercher un m16 pour les photos.
-Et vous voulez que je le trouve où, le m16 ? répond Joe.
-Putain, c'est pourtant pas compliqué !
Joe sort de l'immeuble en pestant contre le froid. Je passe quelques minutes à signer des autographes en dissimulant mon malaise. On me demande de refaire certaines répliques cultes du film, comme « S'il y a une chose que j'ai apprise au centre de détention pour mineurs, c'est de ne jamais faire affaire avec les japonais, Mickey... ». On m'offre une bière et je me détends un peu.
Je sympathise avec mes nouveaux amis. Nous parlons de films de Scorsese et de bandes dessinées pendant quelques minutes. Je finis par avouer que je suis écrivain maintenant. Ça siffle et ça m'encourage de tous les côtés, et on me fait promettre de ne jamais écrire de trucs chiants.
Joe finit par revenir, et explique qu'il a pas pu trouver de m16, et qu'il a pris une kalashnikov à la place, en me posant l'engin dans les mains. Je pose pour quelques photos, et Joe me prévient que la mitraillette est chargée, et qu'on va aller tirer quelques balles dehors, pour faire des vidéos.
-Attends, dis-je, je dois d'abord vérifier quelque chose.
Je vais sonner à l'interphone qui porte le nom de Martine, et Joe m'apprend que plus personne n'habite ici. L'homme à la tête rasée me demande qui je cherche, tandis que nous sortons dehors avec toute la troupe. Je lui explique je cherche une fille, en visant le ciel avec la mitraillette.
Je tire quelques rafales pendant qu'on me filme. L'homme à la tête rasée m'informe qu'il connaît peut-être quelqu'un qui pourrait m'aider. Quelqu'un qui a pas mal de contacts.
-Je vois de qui tu parles, dis-je en tirant une rafale. Mais c'est un mec que j'avais juré de ne plus revoir.
La fraîcheur de la nuit n'est pas si terrible quand on est pas marseillais. Je refile la mitraillette à Joe, avec délicatesse. Mais à vrai dire je sais que je n'ai plus le choix. Barry est revenu, et tout ce qui va avec. Marseille est immense, et je n'ai plus qu'une carte à jouer.
Je reprends une bière pour me donner du courage, et observe la lune qui éclaire les quartiers nord. Je me laisse envahir par le fracas des coups de feu. J'ai rejoint les gobelins dans leur croisade absurde, et le seul moyen de m'en sortir, c'est de les suivre jusqu'au bout.

Je remue mes tagliatelles au saumon du bout de ma fourchette, comme un enfant renfrogné. Lucien m'observe d'un air amusé, et me demande non sans ironie si j'ai vraiment décidé de devenir écrivain.
-Je sais pas si je l'ai vraiment décidé, dis-je.
-En tout cas t'auras toujours ta place à Marseille. T'as une petite notoriété ici, tu sais ?
-Je sais.
Quelle différence, après tout ? Je pourrais m'installer ici, et publier des poèmes narcissiques et mal écrits, en râlant gentiment sur les occasions ratées. Tirer à la mitraillette dans la journée et envahir les bars le soir, en portant des fringues trop petites.
Lucien me parle de son prochain film, qui sort en dvd dans deux mois. Il m'offre un rôle dedans, et me propose de me montrer la bande-annonce.
-Tu as tourné la bande-annonce avant le film ?
-C'est un rôle de flic, continue-t-il. Il se fait casser les genoux au début du film, et il revient à la fin pour se venger.
J'avale une bouchée de saumon, comme si c'était tout ce qu'il me restait. Les lumières du restaurant deviennent plus tamisées, imperceptiblement. Un serveur passe et informe Lucien que le patron nous offre une bouteille de vin. À la table voisine, un couple nous observe avec admiration.
J'ai du mal à manger. Lucien me sert un verre, et me confie que ça lui fait très plaisir de me revoir. Qu'il pense que j'irai loin, avec ou sans lui.
-Si tu veux jouer à l'écrivain ma poule, s'esclaffe-t-il, tu nous pondras des putains de best-sellers ! Putain, je me souviens de la première fois que je t'ai vu, quand tu venais de débarquer à Marseille, t'étais encore tout minot...
-C'était au casting, non ?
-Tu rigoles ? Je t'ai jamais fait passer de casting pour jouer Barry. C'est fou, je te jure, j'ai l'impression que tu as pris dix ans...
C'est peut-être ça la vie d'adulte : Arrêter de tirer à la mitraillette à tout bout de champ. Un homme rentre dans le restaurant, et vient déposer un papier à Lucien. Ce dernier me le tend, et m'annonce qu'il a retrouvé ma copine. Je fourre l'adresse dans ma poche, et remercie chaudement mon ancien réalisateur.
-T'es un mec bien, Lucien.
-Toi t'es toujours aussi marrant, ma poule.
Je sors du restaurant, un peu ragaillardi. Je ne prends pas la peine de rabattre ma capuche, et marche sereinement jusqu'à l'adresse indiquée sur le papier. Au final, je n'ai pas habité longtemps ici, mais je connais les rues. Sauf que Marseille passe comme un fleuve. Elle est calme et furieuse, et si je voulais m'y intégrer, je serais certainement emporté par le courant.
Alors que j'arrive à destination, j'aperçois Martine qui sort de son immeuble, sans prêter attention à cette ville fantasmagorique, à ces passants en transit, ou à moi. Je cours vers elle et la prends dans mes bras. Une fois la surprise passée, elle éclate de rire, et je la soulève un peu démonstrativement, comme pour montrer à Marseille que je l'ai vaincue.
-Comment tu m'as trouvée ? me demande Martine.
-Je savais que tu étais à Marseille.
-Et comment tu savais que j'étais à Marseille ?
Je préfère ne pas lui répondre. Je la repose par terre et l'embrasse. Je lui raconte que je ne sais même pas comment j'ai fait pour venir jusqu'ici depuis la Suisse, et que je suis un peu à côté de mes pompes depuis l'opération.
-Au fait, tu boites ?
-Même pas, dis-je fièrement. J'ai un secret à partager.
-Vas-y.
-Je suis une star de film d'action marseillais.
Son rire redonne des couleurs à la rue. Nous partons en balade pour tenter de rattraper le temps perdu. La mer sans vagues, la chaleur douce de la nuit, et les contretemps de la ville me semblent un peu plus familiers à chaque pas.


Note : Impossible de décrire Marseille

Prochainement : Sans moi

5 janvier 2010

17. Roger Federer

Roger Federer visite l'hôpital aujourd'hui, mais c'est pas comme si j'aimais le tennis. Mon voisin de lit m'a rabâché le nom du sportif toute la matinée, tant et si bien que j'en suis venu à demander aux infirmières de lui donner un sédatif. Mais entre suisses ils ont préféré s'entraider, et c'est moi qui y ai eu droit.
Un anesthésiste m'explique que je me sens persécuté, en me demandant de cracher mon chewing-gum. Il me tend une poubelle, et déplore que l'opération ait lieu aujourd'hui pendant la visite de Federer.
-Moi je le verrai, ajoute-t-il, mais vous quand vous vous réveillerez il sera sans doute parti.
-Je regarde pas le tennis.
-Moi non plus. Mais ici il est plus aimé que Gandhi. Il donne une image glorieuse de notre peuple à l'étranger.
-Pas tant que ça, vous savez. On continue à se foutre pas mal de vous.
Il me jette un coup d'œil un peu haineux, en me demandant de compter jusqu'à dix. Il pose un tuyaux géant sur mon visage, qui englobe ma bouche et mon nez. J'arrive pas à croire que la dernière phrase que je laisserai à la postérité si je meurs pendant l'opération soit pour pour rabaisser les suisses.
Je n'ai pas le temps de compter jusqu'à dix que je sombre dans un profond sommeil. Juste au moment ou je change d'avis et décide de vivre avec ma tumeur.
Je plonge la tête la première dans le monde abyssal contenu dans mon crâne. L'obscurité est plus palpable que d'habitude, plus sombre. Elle est dense comme de l'eau, et je lutte pour avancer car chacun de mes mouvements créé un courant qui m'emporte. Je distingue des silhouettes qui nagent autour de moi, avec des rires moqueurs qui me parviennent déformés et monstrueux. Certainement des gobelins.
C'est comme si j'allais me noyer dans le monde pesant de mon esprit, comme si mes os allaient céder sous la pression et la noirceur de certaines certitudes. On flotte parce que c'est tout ce qu'on sait faire. Et on veut pas savoir ce qu'il y a au fond de l'abysse, alors on raconte à tout le monde qu'il n'y a ni haut ni bas.
Mais pas moi. J'agite les jambes pour plonger vers ce qui me semble être le fond de l'univers. Il fait de plus en plus sombre à mesure que j'avance. Après quelques brasses, j'aperçois une ville au loin, qui me redonne le sens des perspectives.
C'est alors que je réalise à quelle vitesse vertigineuse je chute vers l'abysse. La ville se rapproche à toute allure, et très vite je comprends que c'est Paris. Avec le néant au delà du périphérique, parce que j'ai un esprit assez étriqué. Les immeubles haussmaniens deviennent des camion lancés à pleine vitesse contre moi, et c'est lorsque j'arrive à finalement distinguer des piétons que j'en viens à admettre que je vais me crasher la gueule.
Je ferme les yeux aussi puissamment que possible. Je mets mes bras devant ma tête, comme si ils pouvaient me protéger d'une chute de plusieurs kilomètres. Je sens un choc sourd qui engourdit tout mon corps, comme si je passais d'une densité de liquide à une autre. Le nouveau liquide c'est de l'eau, je le sais avant même d'ouvrir les yeux.
Mon dos vient doucement heurter une surface solide, et mes poumons se remettent à fonctionner normalement. Je commence à étouffer, et me débats vigoureusement, ce qui me fait très vite sortir de l'eau. En aspirant une grande gorgée d'air, j'inspecte les environs autour de moi.
Je suis chez moi. Littéralement.
Je suis dans ma baignoire, dans ma salle de bain, dans mon appartement. Je m'extrais de l'eau, et tente de reprendre mes esprits. Des bruits me parviennent du salon, à travers la porte. Des bruits de combats et de créatures hurlantes.
Je réajuste ma robe d'hôpital trempée, et je pousse la porte. Xavier est en train de jouer sur mon ordinateur, pendant que Vincent dort tout habillé sur mon lit. Je donne des petits coups sur le mur pour capter l'attention de Xavier. Il se retourne vers moi, et m'annonce qu'il a emprunté mon personnage.
-Je comprends pas pourquoi tu prends toujours le magicien, râle-t-il. Un chevalier c'est tellement plus efficace...
-Moi je suis le magicien, pas le chevalier, dis-je.
-C'est sensé être profond, comme phrase ?
Vincent grogne dans son sommeil, et se retourne. Je vais m'assoir sur le canapé, un peu chancelant. La vie va comme ça, on est à Genève mais on est aussi à Paris. On est partout à la fois, et c'est épuisant. J'attrape une cigarette dans le paquet de Xavier, qui me reproche de ne pas attendre sa permission. Je lui demande pourquoi ils sont chez moi.
-On est plus en sécurité ici, m'explique-t-il. Tu verras quand tu rentreras que c'est vraiment la merde à Paris. Alors, c'est bien la Suisse ?
-Je suis en train de me faire opérer.
-C'est bien, mec. Ça veut dire que t'as fait le bon choix.
-Ouais.
Vincent peste contre un serveur imaginaire qui lui a apporté de la salade, et demande un steak avant de s'installer sur le dos. J'essaye de faire des ronds de fumée, pour me donner un air décontracté, mais sans succès. Je crois que je sais de quoi j'ai envie.
J'annonce à Xavier que j'ai un truc à faire, en attrapant des vêtements. Je regrette un peu d'avoir laissé mon manteau d'hiver à Genève. Je confie à mon ami que Roger Federer visite l'hôpital dans lequel je suis.
-Franchement, le monde tourne un peu trop autour des tennismen, me répond-il. Tu vas quand même pas sortir ?
-Si.
-Fais-moi confiance, tu ferais mieux de rester ici.
J'enfile le plus gros pull que je trouve et me dirige vers la porte. Vincent maugrée que son steak pue le foutre et traite son serveur de pédé. Xavier m'avoue que je manque un peu au moustachu. Je souris et réponds que je finirai par rentrer, avant de sortir de l'appartement.
Je descends les escaliers quatre à quatre, et me laisse cueillir par la fraîcheur de la rue. Je me presse vers le métro pour le trouver fermé.
Je décide de faire preuve de courage et de me lancer à l'assaut de la ville. J'accélère mon pas et rencontre sur ma route des rues désertes, jonchées de débris. Je passe devant plusieurs boutiques éventrées, et de nombreuses voitures retournées.
C'est comme si Paris avait été bombardée, c'est le même calme froid et cinglé qui y règne. Le soleil bas de l'après-midi se reflète sur les débris de verre dont les trottoirs sont couverts, et la rue est envahie par une lumière aveuglante. Je marche pendant une bonne heure sans croiser personne, et je ne sais pas trop si je traverse le répit d'après ou d'avant la catastrophe.
Je pousse la porte de l'immeuble que je cherchais, qui a l'air relativement épargné, malgré quelques tags qui proclament la mort prochaine du président. Je monte les escaliers et remarque qu'un léger picotement se fait sentir dans mon genou, à l'endroit où se trouve ma tumeur. Je sonne chez Martine, et elle m'ouvre d'un air surpris.
-Tu es pas vraiment là, c'est ça ? me demande-t-elle.
-Je suis en train de me faire opérer.
Elle a un sourire un peu mélancolique, que je ne lui avais jamais vu. Elle m'invite à rentrer, et je vais m'assoir sur le canapé pour masser mon genou, qui me brûle un peu. Je lui demande pour l'emmerder gentiment si cette fois elle m'a attendu.
-Le problème, répond-elle, c'est que j'arrive pas à trouver quelqu'un d'aussi con. Alors je t'attends.
-Je rentre bientôt.
-De toute façon, je vais aller passer un mois ou deux à Marseille, il paraît que c'est plus sûr. Alors rentre pas trop vite.
-Je ferai ce que je peux.
Elle s'allume une cigarette, et me fait le plus beau sourire de la journée. Elle m'embrasse du bout des lèvres, comme si elle craignait que je sois un fantôme. Et soudain, une douleur fulgurante s'empare de mon genou. Je hurle par réflexe, et Martine écarte ses bras de moi subitement, et fait tomber un bibelot.
Je me recroqueville sur le canapé, sentant une lame entailler ma chair au niveau de la rotule. Je crois que dès que je reviendrai, je vais avoir une longue discussion avec l'anesthésiste. J'annonce à Martine que l'opération commence, et sans rien dire, elle s'assoit à côté de moi et passe sa main sur ma joue. Je m'excuse de n'être toujours pas bien rasé, mais elle me répond qu'elle s'en fout.
Je prends mon mal en patience. En position fœtale, la tête posée sur les cuisses de Martine, j'essaye de ne pas penser à mon genou. J'ai l'impression que nous restons des années ainsi, comme des statues affaiblies. Imperceptiblement, je sens des frissons parcourir son corps chaque fois je pousse un petit gémissement, et si je ne la connaissais pas un peu je jurerais qu'elle va se mettre à pleurer.
Les nuages défilent par la fenêtre, ça et là contrecarrés par des colonnes de fumée s'élevant de la capitale. Les heures passent pendant que je serre les dents, et ni Martine ni moi n'osons dire un mot.
Puis la douleur s'estompe un peu, après une attente interminable. Je prends de grandes inspirations, et déplie péniblement mon corps trop grand. Comme tout à l'heure dans la rue, je n'arrive pas à me situer avant ou après la catastrophe.
Martine me demande comment elle aura de mes nouvelles maintenant qu'il n'y a plus ni internet ni téléphone. Je lui explique qu'elle n'aura pas besoin d'être rassurée, parce que j'irai forcément bien. Que je me serais pas fait chier comme ça pour aller en Suisse, sinon.
Je sens mon corps devenir plus léger, plus flottant. Comme si l'air devenait peu à peu liquide. J'explique avec empressement à Martine que je vais devoir y retourner. Elle m'embrasse et me demande de lui ramener du chocolat.
-Fais gaffe pendant le trajet, dis-je.
-C'est à toi qu'il faut dire ça.
Elle a raison. Un courant violent m'emmène en tourbillonnant vers le plafond, que je traverse sans abîmer. Je passe ainsi plusieurs étages, et me retrouve projeté au dessus de Paris. Je ferme les yeux et me laisse bercer par le clapotis de l'air dans mes oreilles. Mon corps est transporté à toute vitesse dans l'univers intangible.
Le truc c'est qu'on ne sait jamais se situer par rapport aux catastrophes, c'est pour ça que toutes les prédictions sont fausses, et que le futur nous échappe autant. On est trimballé à pleine vitesse à travers des océans inconnus, et même si souvent on a des intuitions, au final on sait jamais où on va atterrir.
J'ouvre les yeux. Mon genou me brûle, et le visage de Roger Federer m'observe avec bienveillance. Ce n'est pas que le monde tourne autour des tennismen, c'est qu'il ne tourne que pour eux. Et que je n'arrive pas à tenir une raquette correctement.
Aux côtés de Federer se trouve une infirmière qui m'explique que le sportif a accepté d'attendre que je me réveille pour venir me visiter.
-Tu vas le faire, mec ! m'encourage-t-il.
Faire quoi, ça j'en sais rien.


Notes : -Rendre scène avec Martine moins niaise
-Développer le personnage de Roger Federer

Prochainement : Martine introuvable

3 janvier 2010

Nouveau look

Voilà. Je me suis dit que la gueule de mon blog donnait envie de se pendre, alors j'ai un peu repris le tout. Que les puristes ne s'en offusquent pas, mais j'ai mis une photo. Je trouve ça un peu moins moche. A mardi.
 
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