Bienvenue sur mon blog. "Irving Rutherford", c'est mon pseudo, et c'est aussi un roman feuilleton qui paraît tous les mardis. Je sais pas vous, mais moi je déteste les écrivains qui racontent leur vie, même si c'est un peu ce que je fais. Alors du coup j'arrive pas à m'empêcher de rajouter deux ou trois trucs en plus, pour agrémenter le quotidien.
Si c'est votre première visite, je vous invite à lire un épisode ou deux. Chacun peut se lire indépendamment, mais le tout est relié par une continuité, et les vieux épisodes sont gardés dans les archives.
Je souhaite une bonne lecture aux nouveaux lecteurs comme aux habitués.


29 novembre 2009

11. Xavier n'a plus d'espace

-T’es vraiment un sale connard.
-Toi aussi, dis-je.
-Bravo, super répartie.
Je gratte une fissure dans le mur pour en arracher le plâtre avec le bout de l’ongle. Xavier me rappelle que c’est chez lui et que ce n’est pas moi qui paierai la caution, mais je l’ignore volontairement. Je m’obstine à gratter sous son regard irrité.
-Je veux plus de toi comme agent littéraire, dis-je.
-Ça tombe bien, parce que j’en ai marre de m’occuper de ta gueule. Putain d’ingrat de merde.
J'ai envie de gratter ce foutu plâtre jusqu'à ce que mes doigts saignent, ou ou le mur s'écroule. Je voudrais par dessus tout que Xavier arrête de me répéter que je peux m'améliorer, et qu'il me dise simplement que j'assure quand même pas mal en tant qu'être humain.
Xavier n'a plus d'espace. Son monde rétrécit peu à peu. Il est construit d'intransigeance et expulse peu à peu les gens qui le peuplent, tant et si bien qu'un de ces jours il ne sera plus habité que par un seul homme. Et cet homme est un con.
-C'est toi le con, me dit Xavier.
Certain de ne pas avoir parlé à voix haute, je hurle sur mon ami d'arrêter de toujours deviner ce qui se passe dans ma tête. Je cesse mon manège avec le plâtre du mur et tente de me recentrer sur les problèmes importants. Sauf que je ne sais pas vraiment pourquoi ils sont importants. Tout ce que je vois c'est que mon prétendu agent littéraire veut ma perte.
-C'est pas possible que je te laisse du mystère, mec, m'explique-t-il calmement. Je te connais trop pour pas savoir à quoi tu penses. Enfin merde, on se connaît même trop pour ne plus être amis, alors qu'on se déteste.
Je vais jusqu'à son frigo, à la recherche d'un remontant, mais je le trouve désespérément vide. Je bois un peu d'eau au robinet, par réflexe, et m'assois par terre.
-Je passerai pas à la télé, dis-je, dans un souffle.
-C'est une chaîne du câble, me répond Xavier comme si ça changeait quoi que ce soit.
-Pas la télé, c'est tout.
Il objecte que ça durera cinq minutes, que ça passera à deux heures du matin, et que je suis un abruti.
J'aurais dû amener un lance-roquettes pour décaper son plâtre de merde, et bousiller son frigo vide. J'aurais aussi réservé une roquette pour sa gueule, parce que c'est décidément pas possible de pas être ouvert à la discussion comme lui.
-Je suis pas fermé, dit-il.
-C’est toujours pareil, mec. C'est comme quand je t'ai dit que Dieu n'existait pas.
Il sourit, et va s'installer à l'ordinateur en tentant de paraître sérieux et affecté. Un jour je n'aurai plus ma place dans le monde de Xavier, même si je serai un des derniers à partir. J'ai peur qu'au final mon ami se retrouve seul avec sa satisfaction d'avoir été droit dans ses bottes. Et ce jour là il n'y aura plus personne pour empêcher la petite planète qu'il a bâtie de partir à la dérive dans l'espace, à la recherche de nouvelles galaxies habitées par des êtres qui ne le décevront pas.
-T'en est où du texte de cette semaine ? me demande-t-il.
-Tu peux pas attendre autant des gens, mec.
-Essaye pas de changer de sujet.

« ...Paxton Fettel parcourait à toute allure les longs couloirs sinueux du donjon de Mabrok. Derrière chaque porte, chaque recoin du mur, l'attendait un gobelin prêt à en découdre. Mais à vrai dire c'était le cadet de ses soucis.
-Putain de bordel de merde, vous allez me lâcher ? cria-t-il.
Mais le cameraman et le preneur de son lancés à sa poursuite ne prirent pas sa requête au sérieux. Paxton Fettel se retourna vers l'objectif de la caméra, qu'il pointa de son épée avec un air menaçant. Les techniciens reculèrent de quelques pas. Il reprit alors sa course effrénée dans le donjon, mais le poids de son armure le ralentissait, et l'empêcha de semer l'équipe de télévision.
-Mais barrez-vous ! beugla-t-il.
Un gobelin fit irruption d'un recoin sombre, et planta sa dague dans l'épaule de notre chevalier, qui poussa un cri déchirant. Un coup d'épée eut raison du gobelin. Paxton Fettel écarta les plaques de métal qui enserraient son corps pour mieux examiner sa blessure.
-Putain ça doit faire mal, siffla le caméraman, en zoomant sur la plaie. »

Roger me hurle d'arrêter d'écrire n'importe quoi. Il met ses mains en avant, doigts crispés, et si je ne le savais pas si mou, je jurerais qu'il est prêt à m'étrangler. Il me répète que je suis le pire écrivain du monde en vociférant qu'il y a encore un putain de chemin jusqu'au prix Nobel.
-Tu peux pas écrire comme tout le monde ? me questionne-t-il.
Je lui demande s'il s'écoute des fois, avec un sourire en coin qui visiblement l'énerve. Je tente de me concentrer sur mon texte, et emmène le brave chevalier jusqu'à la sortie du donjon, où l'attend un elfe guérisseur appelé par la boîte de production. Roger, qui lit par dessus mon épaule, fulmine.
Je m'allume une cigarette, certainement par provocation. Le chevalier demande à l'elfe de se grouiller parce qu'il veut repartir au front. Le problème vraiment important, je n'arrive toujours pas à mettre de mots dessus. Peut-être que c'est le chevalier. Ou peut-être Roger.
En fait je déteste les écrivains, et je suis bien content de ne plus en être un. La vie s'échappe et ces cons essayent de la retenir, mais ils sont trop peu nombreux et trop peu lus pour être efficaces. Le barrage a cédé depuis longtemps, et le papier ça retient que dalle.
J'entends un abri-bus se faire démolir en bas de chez moi, et essaye de l'ignorer. L'elfe répond au chevalier qu'il va devoir oublier les donjons pour quelques semaines, et le cameraman capte les larmes qui montent à ses yeux. Roger fait la remarque que ça chie dans la rue.
-Il paraît que ça va pas durer, dis-je.
Je me remets au clavier, et comme pour me contredire, un pavé vient fracasser ma fenêtre. J'écrase ma cigarette d'un geste rageur, et regarde le gros bout de pierre qui trône maintenant au milieu de ma chambre. Le problème vraiment important c'est que je n'arrive pas à me concentrer.
Le froid s'engouffre par la fenêtre éventrée, et vient me murmurer que si je n'écris pas les choses, alors tout part en couille. Je déteste les écrivains qui passent à la télévision, parce qu'ils ne me ressemblent pas.

-Voyez-vous, dit Vincent, l'immense majorité des écrivains est homosexuelle.
L'intervieweur, un peu décontenancé, lui demande de répéter. Vincent lui sourit, et développe son point de vue sur l'érotisme gay qui se dégage de mon blog. On lui demande de recentrer la discussion sur ses amis Xavier et Vincent.
Xavier monte un peu le son de la télévision, et me fait remarquer que notre ami s'est rasé pour l'occasion. Il est redevenu moustachu, et je me demande si c'est vraiment l'image de moi que j'ai envie de renvoyer au monde.
Xavier a remis du plâtre sur son mur, et celui-ci est redevenu lisse. Affalés sur le canapé, nous écoutons Vincent déblatérer sur la façon dont je le vois comme un héros.
-Xavier, explique-t-il, est un peu le colérique de la bande. Il faut dire aussi que je l'énerve beaucoup.
Je vais jusqu'au frigo pour nous chercher du coca, et retourne m'écrouler sur le canapé. On a pas idée de passer des programmes culturels à deux heures du matin. Xavier me demande où j'en suis avec mon genou, et je lui réponds que j'attends toujours les résultats complémentaires.
Nous écoutons Vincent jouer mon rôle jusqu'au bout, jusqu'à la conclusion extraordinaire qu'il apporte à son interview : « Franchement, faut être un peu con pour faire ce que je fais. ». Le journaliste le remercie, et lance une page de pub.
Je me lève du canapé, les membres un peu engourdis, et m'allume une cigarette en enfilant mon gigantesque manteau d'hiver. Xavier se lève à son tour, et attrape une veste.
-Tu bouges aussi ? je demande.
-Je vais voir Martine.
-Moi aussi. La mienne.
Nous sortons de l'appartement et dévalons les escaliers sans dire un mot. En fait on arrive pas à grandir, ne serais-ce qu'un tout petit peu, mais ce n'est pas un problème vraiment important. Je questionne mon ami sur sa nouvelle petite amie, et il a un geste vague comme à son habitude.
-Beaucoup de compromis, philosophe-t-il.
La planète de Xavier est encore dans notre galaxie. Il faudra sans doute quelques années avant qu'elle ne prenne le large, et je me dis que ça nous laisse du temps pour l'en dissuader. Nous marchons jusqu'au métro, et remarquons que nous prenons chacun un sens opposé.
Mon train arrive immédiatement, et je cours pour monter dedans. Les portes se referment, et tandis que je m'éloigne peu à peu, j'observe Xavier qui déambule sur le quai d'en face en observant les publicités avec un air de dégoût.
Le métro m'emmène jusqu'à mon rendez-vous avec Martine, qui est déjà là, à m'attendre. Je la prends dans mes bras et la serre de toutes mes forces. Elle me demande si Vincent passe bien à l'image.
Je ne réponds pas. Mon bras par dessus son épaule, je l'entraîne jusqu'à un bar à moitié vide, en lui expliquant qu'à l'avenir je vais essayer de faire moins de compromis.


Notes : -Tu n'habites pas dans une rue pavée
-Pas assez parlé de la tumeur au genou

Prochainement : Dieu existe

26 novembre 2009

10. Vincent deteste mes tatouages

La couche extérieure de notre peau, appelée épiderme, est constituée de cellules mortes. Notre corps en est recouvert dans son intégralité, parce que notre peau ne supporte pas le contact de l’air ou du soleil. On est pas vraiment en contact vivant avec le monde, et je ne vois pas par conséquent pourquoi on devrait s’en faire pour de la peau morte.
Le contact du mur du commissariat sur mon visage est dur et froid, et je me demande si mes cellules sont aussi mortes qu’elles le prétendent. Le policier qui me fait les poches m’empêche de me retourner pour examiner la situation avec plus de recul. J’entends Vincent dans mon dos, qui vocifère contre la brutalité dont nous sommes victimes, et Xavier qui claque des dents.
J’ai envie de me plaindre comme à mon habitude de mon manque de responsabilité dans tout ce qui m’arrive, mais j’ai maintenant compris que les choses qui m’arrivent sont toujours de ma faute. J’aurais dû mieux surveiller Vincent.
Les policiers nous demandent de retirer chaussures et pantalons, en s’excusant à demi-mots. Ils nous expliquent que par les temps qui courent, ils sont sensés être particulièrement vigilants avec les personnes de moins de vingt cinq ans.
Vincent et Xavier, l’œil mauvais, s’exécutent. Un policier fait une blague sur les jambes maigres de Vincent, pensant sans doute dédramatiser la situation. On me demande de me désaper à mon tour, et mon hésitation énerve quelque peu mes amis.
-Mec, me dit Xavier sans cesser de claquer des dents, depuis quand ça te gène de te mettre à poil?
-C’est pas ça, c’est…
Je jette un regard craintif à Vincent, parce que j’anticipe la violence de sa réaction. Ce dernier m’intime poliment de baisser mon froc et de pas faire chier. Je demande aux policiers pourquoi Xavier et moi devons payer pour les erreurs de notre ami barbu.
-Je dirais plutôt «moustachu», précise un jeune policier.
C’est pas possible d’entamer une carrière de grand écrivain réaliste lorsque tout se barre en couille de cette manière. Je passe bien trop de temps dans les commissariats pour prendre les choses au sérieux. Je finis par baisser mon pantalon et Vincent pousse un cri d’horreur.
-C’est pas vrai, hurle-t-il, tu t’es encore fait faire un tatouage!
-Un petit.
-Putain, mais t’es vraiment trop con, t’écoutes jamais ce qu’on te dit! C’est permanent ce genre de connerie!
-C’est l’idée.
Les flics, visiblement peu à l’aise, nous fouillent sommairement pendant que Vincent me traite de tous les noms. Encore une fois, ce n’est après tout que de peau qu’il s’agit. On demande à mon ami de se calmer parce qu’il fait vraiment beaucoup de bruit, et celui-ci prend tout le monde à parti.
-C’est pas trop con franchement?
Les policiers baissent la tête mais n’en pensent pas moins. Je me sens de plus en plus honteux. Vincent marche jusqu’à moi, le pantalon sur les chevilles, et soulève mon pull, découvrant ainsi d’autres tatouages, pour appuyer son argumentation par un «Si c’est pas moche, franchement?». On nous sépare, pendant que je m’obstine à regarder mes pieds en rougissant.
Xavier, seul dans son coin, nous déteste en silence.
Nous finissons par nous rhabiller, et les formalités administratives nous prennent une heure de plus. Lorsque nous sortons du commissariat, je suis surpris qu’il n’ait pas été une fois de plus attaqué par une foule furieuse. Mais la police n’est plus la cible privilégiée des émeutiers, qui sont maintenant bien trop nombreux pour se sentir menacés.
Les rues de Paris sont couvertes d’affiches qui proclament «La fin de leur monde», comme dans la chanson. C’est vrai. Les flics arrêtent tous les jeunes qui passent parce qu’ils ne savent pas vraiment comment réagir face à un pays entier qui en a assez de s’en prendre plein la gueule. Face à des gens qui leur ressemblent, qui ont comme eux trop subi pour rester chez eux à attendre que ça passe.
Car tout ça n’a rien à voir avec le courage de prendre les armes. C’est de la survie pure et dure, c’est simplement nous ou eux.
Vincent se bat avec son téléphone pour appeler sa copine, malgré le réseau qui est de moins en moins bon depuis que plusieurs antennes-relais sont détruites. Xavier me prend à part en se donnant un air sérieux.
-Mec, me chuchote-t-il, ta grosseur au genou…
-Elle est toute petite.
-Elle a grossi.
Un passant annonce à Vincent que les portables ne passent plus dans cet arrondissement, et celui-ci pousse un juron de son invention qui nous fait sursauter. Xavier éponge la sueur de son front, séquelle de son séjour parmi nos amis de la police, et s’allume une cigarette. Le vent d’hiver peine à se faufiler entre les immeubles parisiens. Je passe ma main sur mon tatouage tout neuf, encore un peu gonflé, et masse cette peau meurtrie supposée morte.
Je demande à Vincent ce qu’il faisait avec plusieurs centaines d’euros de tickets-restaurant sur lui. Je lui précise que je me fous de savoir où il les avait eus, que ce qui m’intéresse c’est ce qu’il comptait en faire maintenant que les rares restaurants encore ouverts ne les acceptent même plus. Il embrasse la rue d’un grand geste, et nous invite à regarder le chaos autour de nous: Les boutiques fermées, les vitrines brisées, les rues barrées par des camions…
-Tout ça, résume-t-il. Tout ça ne durera pas. La révolte, les petits pillages de merde, la police débordée. Même le président qui passe à la télé pour dire que tout est sous contrôle, eh bien le président ne durera pas. Les gens obtiendront quelques satisfactions et s’en tiendront là, c’est tout. Ils auront à nouveau besoin de places de parking.
-Et de tickets-restaurants? demande Xavier.
-Putain, ces enculés de keufs les ont gardés pour eux…

J’essaye de ne pas penser que l’extérieur de notre corps est déjà mort. Que le monde nous appréhende comme des cadavres encore chauds. Alors j’enfouis la tête sous les draps pour la poser sur le ventre de Martine. Je suis à peine rentré a Paris et je recommence déjà à faire n’importe quoi. Et j’adore ça.
Martine se met à caresser mon dos, à l’endroit ou se situe l’un de mes tatouages les plus imposants, et se demande à voix haute comment on peut écrire sur soi une phrase tirée d’une bande dessinée.
J’essaye d’enfouir ma tête plus profond, savourant le contact de cette peau morte qui réchauffe la mienne. J’étreins son corps de toutes mes forces, comme si le plus gros câlin du monde allait effacer mon propre corps et me changer en esprit pur. Je retourne quelques instants dans cet univers noir qui n’existe que lorsque mes yeux sont fermés, ce néant peuplé d’êtres fabuleux, dans lequel ma puissance n’a pas de limites. Où moi seul défait les armées et construit des cathédrales.
Je renonce à la vie terrestre pour me perdre dans un corps qui n’est pas le mien.
-C’est ça que j’aime chez toi, dis-je.
-Quoi?
Je sors la tête des draps et attrape une tasse de café. Martine se lève et commence à s’habiller, me demandant si moi aussi je ne vais pas être en retard au travail. Je lui réponds que j’ai arrêté d’être serveur pour écrire plus.
-J’ai toujours pas lu une ligne de ton blog, d’ailleurs, s’excuse-t-elle.
-En fait personne le lit, dis-je. Xavier fait du mauvais boulot.
-T’y mets pas vraiment du tien non plus, non?
Je m’assois sur le lit et commence à enfiler mes vêtements. Je pourrais me sentir comme une merde si seulement je réfléchissais un peu plus. En finissant ma tasse de café d’un trait, il me vient l’idée que mes tatouages partiront peut-être avec le temps, comme des peaux mortes, et que ça ferait bien plaisir à Vincent.
Martine et moi descendons les escaliers de chez elle, et nous donnons un baiser d’adieu une fois dans la rue.
-Je pensais vraiment pas que tu m’attendrais, dis-je.
-Je t’ai pas attendu, mon vieux, répond-elle.
Elle mordille légèrement ma lèvre inférieure et tourne des talons pour s’en aller travailler. Je pourrais juste faire comme si je m’en foutais. Je la regarde s’éloigner, en boutonnant mon manteau d’hiver comme si j’enfilais une armure. Il résiste au vent et à la pluie, et je voudrais parfois ne jamais l’enlever.
Je me mets en route pour affronter Paris à pied. De nombreuses personnes sont dans mon cas, sans doute découragés par la pénurie de métros. La ville entière semble bouder, et étale avec nonchalance ses magasins fermés et ses piétons désœuvrés.
J’ai envie de tout casser juste pour prouver que j’en suis capable. Le vent froid m’emmerde autant que les gens qui ne me prennent pas au sérieux. Je déteste la police et les émeutes. Je vais bousiller cette ville qui m’en met plein la gueule.
Je donne un coup de pied dans une poubelle pour la renverser, et ignore le regard de certains passants outrés. C’est juste que je comprends que la France en ait marre de se faire enculer, mais que j’ai du mal à accepter que ça lui ait pris autant de temps pour le réaliser.
La puissance du monde noir de mon imagination afflue dans mes veines, et me rend ivre comme je ne l’ai jamais été. La force dont je fais preuve en rêve sort des régions reculées de mon esprit pour venir gonfler chacun de mes muscles. D’un autre coup de pied, j’envoie valser un scooter mal garé, avant d’hurler sur un petit chien que je trouve moche.
Je m’adosse contre un immeuble et sens que le choc de mon corps contre la pierre cause quelques fissures. D’un doigt hésitant, j’appuie mon doigt contre le mur et découvre qu’il s’y enfonce comme dans du beurre. J’en profite pour graver mon nom dans la pierre.
Je traverse la route sans faire attention aux voitures. L’une d’elles me percute, et explose sous la violence du choc. Ce n’est pas simplement mon gros manteau d’hiver qui me protège, c’est une force de chevalier mythique qui m’a envahie, et qui ne se tarit pas. Paris est peuplé de gobelins qui ne sont pas si impressionnants, et je m’en vais les combattre à grands coups d’épée dans la gueule.
J’attrape une autre voiture et la projette quelques mètres plus loin. Je fonce tête baissée dans les embouteillages, envoyant valser tous les véhicules qui se trouvent sur mon passage. Des flammes se mettent à crépiter dans les paumes de mes mains, mais ne me brûlent pas. Mes pieds touchent à peine le sol, tandis que je commence à courir sur le boulevard, à la vitesse de l’éclair.
Je projette les flammes qui naissent dans mes mains contre les affiches publicitaires et les vitrines, qui fondent instantanément. Je décide de couper à travers les immeubles, et mon corps traverse la pierre et fait s’écrouler les murs.
J’emporte plusieurs bâtiments dans ma course effrénée, sans aucun remord. Je suis bien plus fort que la ville, que les gens, que l’hiver. On leur avait dit de s’attaquer à ceux de leur taille, et maintenant ils en paient le prix fort. Faites place au putain d’écrivain.
Je tords quelques réverbères pour m’amuser, avant de retourner mettre à bas un autre immeuble. J’en défonce la façade, et rentre dans le hall. Chacun de mes pas fracture le carrelage, et les fenêtres explosent lorsque je passe trop près d’elles. Je commence à grimper le vieil escalier en bois, qui prend feu à mon contact. Je monte quelques étages en laissant un brasier dans mon sillage.
J’arrive sur le palier de chez Vincent et frappe à sa porte. Mon corps est couvert de sueur, et mes jambes me soutiennent à peine. Forcé de m’assoir, je prends ma tête dans mes mains et me recroqueville en position fœtale. J’ai peur que le vent emporte mes tatouages et que la pluie me casse en mille morceaux impossibles à recoller. Parce que je suis un cadavre qui marche, un amas de cellules mortes qui ne se renouvellent pas, pensant savoir ce que c’est que de vivre vraiment.
C’est Xavier qui ouvre la porte. Il me voit roulé en boule dans mon gigantesque manteau, ignorant les flammes qui crépitent dans l’escalier et le bruit des dizaines d’alarmes de voitures qui nous parvient de la rue.
-Mec, dit-il d’une voix paniquée, qu’est-ce qui se passe?
-J’ai une tumeur au genou.


Note: Attention au côté «roman feuilleton»

Prochainement: Xavier n’a plus d’espace

24 novembre 2009

09. Roger est de retour

-Et sinon, tu continues toujours la musculation?
-Un peu.
-Il me semblait bien que tu avais pris un peu d’épaisseur.
-C’est le manteau qui fait ça.
Je fais un tour sur moi-même pour montrer à mon père comment ma mère a encore rembourré mon gros anorak. Xavier baisse les yeux pour cacher son sourire. Selon lui, j’ai l’air d’un ours aux jambes maigres dans ce manteau. Mon père nous sert des cafés pendant que nous posons nos affaires. On s’installe à table, et il nous demande si ça ne pète pas trop à Paris.
-En tout cas quand on est partis ça allait encore, dis-je.
Mais chaque jour les images des émeutes à la télévision me font flipper un peu plus. Les choses prennent une ampleur que je n’attendais pas, et je préfère encore me cacher chez mon père ou ma mère.
Nous finissons nos cafés en écoutant mon paternel parler de la nécessité de faire gaffe à pas se faire démolir, puis ce dernier se lève et va s’installer dans le canapé pour lire son journal sportif. Xavier m’annonce qu’il va prendre une douche, et je monte jusqu’à la chambre de mon père dans l’espoir de lui voler quelques sous-vêtements.
La pièce est peu éclairée, un peu comme le reste de la maison, et le rideau que j’ouvre m’offre un ciel blanc qui m’aveugle un peu. Le brouillard a envahi la campagne ce matin, et persécute la maison de mon père de son armée de fantômes de brumes. Ils tapent aux fenêtres pour réclamer sa tête, font grincer les volets, et parfois je me dis qu’il a raison de ne pas beaucoup sortir de l’abri qu’il s’est construit.
J’ouvre la porte du placard et pousse un cri d’horreur. Roger, mon ami du futur, se trouve à l’intérieur, trempé de la tête aux pieds et dégageant une odeur nauséabonde. Je m’empresse de refermer la porte et recule de quelques pas, le cœur battant la chamade.
-Ouvre moi connard, grogne Roger de l’intérieur du placard.
Je m’exécute et lui demande ce qu’il fout au milieu des chaussettes de mon père, et surtout pourquoi il ne s’est pas noyé dans la Seine comme je l’espérais.
-Dans le futur on sait toujours nager, ironise-t-il. Franchement, tu t’attendais à quoi?
C’est triste à dire mais je m’attendais à ce qu’il reste mort, et la responsabilité de ce meurtre ne m’empêchait pas de dormir. C’est vraiment ridicule qu’il revienne, parce que c’est un personnage de second plan et que c’est lui accorder trop d’importance. Le futur duquel il vient n’existe plus. Sa présence ne veut plus rien dire.
La vie que je m’écris n’est pas très agréable à la lecture. La science-fiction sort de nulle part, et les émeutes qui secouent le pays ressemblent à des fantasmes d’adolescent. Le roman m’échappe et ça me rend fou.
-Tu es en train de merder, me dit Roger.
Impossible de cloisonner. Tous les futurs du Monde s’échappent dans tous les sens parce que rien n’est suffisamment solide pour les contenir. Roger me reproche de laisser l’écriture partir en roue libre, et je lui avoue que ça fait bien longtemps que je n’ai rien écrit.
-Et le texte de cette semaine, pour le blog?
-J’avais pris de l’avance. Je dois en publier un demain et je n’ai encore rien pondu.
Il me gratifie d’un sourire narquois et jette un coup d’œil aux fantômes de brume qui tambourinent à la fenêtre. Peut-être des amis à lui. Ils portent avec eux toute la mélancolie de la province par mauvais temps. Les maisons aux alentours semblent inhabitées, et les feux de circulation dans la rue changent de couleur dans l’indifférence générale. J’imagine que si je me sens en sécurité ici, c’est parce que j’ai l’impression que personne ne connaît l’existence de ce quartier.
Mon ami du futur a maintenant allumé l’ordinateur vétuste de mon père, et me conseille de me remettre au travail.
-Si tu laisses courir tout ce qui se passe autour, soupire-t-il, tu vas te faire démolir.
C’est vraiment nul comme scène, le coup du pseudo-mentor qui encourage le jeune mec paumé à s’accrocher et à ne pas perdre espoir. C’est bien trop cliché, et j’ai vraiment beaucoup de mal à trouver le personnage principal sympathique. Je m’installe au clavier et décide de renoncer à devenir écrivain.
«...Paxton Fettel sortit son épée de son fourreau et s’élança en hurlant vers les gobelins brigands, car après tout il savait pertinemment que la mort l’amènerait au nexus. Son cri de guerre fit frissonner les créatures écailleuses. C’était un hurlement presque chantant, traditionnel, et sincère.
Être chevalier en ces temps troublés signifiait présentement se débarrasser des créatures du mal, mais dans l’absolu il ne savait pas vraiment où sa destinée l’entraînait. Car les batailles ne dureraient qu’un temps, et bientôt la question se poserait de trouver sa place dans un monde gouverné par les hommes et la paix.
Et il se demandait si cela ne serait pas plus dur que de massacrer des gobelins.»

Roger retourne s’enfermer dans le placard avec un air désespéré. Le brouillard dehors a presque disparu, et des gouttes de pluie timides commencent à arroser le quartier abandonné. Je me remets au travail et conte l’histoire de ce chevalier qui peine à trouver sa place dans le monde des hommes. Au bout de quelques pages il rencontre un magicien qui enchante son épée pour la rendre incassable. Paxton Fettel n’en fait qu’à sa tête et va jusqu’à s’aventurer en pays gobelin. Il essuie les flèches empoisonnées et la dysenterie, et finit par affronter des fantômes de brume qui l’empêchent de passer.
Mon père fait irruption dans la pièce et me demande si je n’ai pas besoin de chaussettes. Je lui réponds que non, préférant qu’il ne trouve pas Roger en train de ruminer dans le placard.
Plus tard dans la journée, je fais lire mon histoire de chevalier à Xavier. Celui-ci m’annonce que les gobelins n’ont pas l’air assez menaçants, et que du coup Paxton Fettel passe un peu pour un trouillard.
-Tu verras la semaine prochaine, dis-je, les fantômes seront des adversaires beaucoup plus coriaces.
J’y crois vraiment. La semaine prochaine il y aura des combats qui ne seront pas gagnés d’avance, et beaucoup moins d’interrogations métaphysiques. Peut-être même que le chevalier retournera à Paris.
Mon père me crie d’en bas qu’un ami à moi est à la porte. Le moustachu qu’il n’aime pas beaucoup.
Xavier et moi descendons les escaliers quatre à quatre, et je manque de trébucher à plusieurs reprises. Vincent nous attend dans l’entrée, sans autre bagage que son casque de moto. J’ai l’impression qu’il a maigri, et ses yeux nous renvoient une tristesse peu commune.
-Sa lut, murmure-t-il d’une voix éteinte.
Encore une scène qui laisse à désirer. Il aurait fallu un retour plus impressionnant. Peut-être au milieu des coups de feu, poursuivi par des insurgés ou des loups, portant sa dulcinée dans ses bras. Sa Martine à lui qu’il aurait arrachée aux griffes des émeutiers.
-Et Martine? je demande.
Ses yeux s’humidifient très légèrement, en tout cas beaucoup moins qu’à l’accoutumée. Il pose son casque par terre et passe ses mains sur son visage. Il ne s’est pas rasé depuis son départ de Paris, et sa moustache se confond presque maintenant avec les longs poils qui ont poussé sur ses joues.
-Martine est morte, dit-il pour le carrelage.
C’est mauvais. Mauvais. C’est gratuit, ça fait du mal à l’un des personnages principaux au nom d’un rebondissement de merde. Ca se lit mal, ça sort de nulle part, c’est brusque et inutile. C’est de la terrible littérature.
Les autres personnages ne savent pas quoi répondre, pendant que le moustachu devenu barbu passe dans le salon et s’allonge sur le canapé comme pour y dormir, alors qu’on voit à ses yeux qu’il ne dort plus.
La pluie se met à frapper violemment aux carreaux, comme pour ponctuer le pathétique de la situation. Le personnage de l’écrivain raté va s’asseoir à côté de son ami qui fait semblant de dormir en se cachant la tête dans un coussin.
-Vincent, dit-il, je suis vraiment désolé mec. Vraiment. Je sais pas quoi dire.
-Alors dis moi que tu m’aimes.
-Je t’aime mec.
Vincent se retourne vers moi, hilare, en m’annonçant que je suis complètement pédé. Xavier derrière moi éclate de rire également, et vient taper dans sa main.
-Je t’ai eu mec.
Les deux, toujours pliés en deux, se prennent dans les bras en se gratifiant de grandes claques dans le dos. Ils me jettent un regard et leur fou rire repart de plus belle. Les ombres portées sur leur visage par la lumière qui filtre entre les gouttes de pluie leur donnent un air presque démoniaque.
C’est pas de la littérature, c’est pire. C’est des mots et des situations qui s’enchaînent dans une foire pas possible, et moi au milieu qui ne pige rien. C’est le roman qui m’échappe, c’est le style approximatif, c’est le danger de reprendre la route. Enfin merde, c’est le putain de Tout. Ca sera plus intéressant la prochaine fois.
-On rentre à Paris, les mecs, clame Vincent.


Note: Ecrit trop vite pour le rendre à temps. Reprendre plus calmement.

Prochainement: Vincent déteste mes tatouages

22 novembre 2009

08. Xavier dit qu'il est trop intelligent pour se suicider

J’explique à Xavier que moi non plus personne ne m’aime, mais que j’en fais pas tout un plat. Entre deux vomissements, il marmonne quelque chose que je ne saisis pas bien, mais je serais prêt à parier que c’est une insulte.
Xavier a toujours dit qu’il était trop intelligent pour se suicider, et je crois bien qu’aujourd’hui il a revu sa position. J’aimerais que Vincent soit là, parce que je suis vraiment nul pour m’occuper des gens qui vont pas bien.
-J’avais mal à la tête et j’ai pris trop d’aspirine, bafouille Xavier, avant de se remettre à vomir.
Je maintiens la porte fermée en observant mon ami de loin, et ma seule frayeur est que ma mère décide de rentrer en cet instant. Je compose le numéro de Vincent sur mon téléphone et tombe une fois de plus sur son répondeur. Je crois qu’il vaut mieux pour lui qu’on ne le retrouve jamais, parce que sinon je vais le tuer.
Une bourrasque de vent fait s’ouvrir la fenêtre qui était mal fermée, s’engouffre dans les toilettes, et me fait frissonner à m’en décrocher les membres. Xavier finit par se relever et m’annonce qu’il a besoin de prendre l’air. Nous sortons dans le jardin, et mon ami me reproche violemment de toujours tirer les mauvaises conclusions. Je lui donne un chewing-gum, et il me demande pourquoi j’en ai toujours sur moi ces temps-ci.
-C’est depuis que j’ai arrêté de fumer, dis-je.
-Me prends pas pour un con, t’as jamais arrêté de fumer.
Le bruit des rares voitures qui passent à toute allure dans le quartier ne parvient pas à meubler notre conversation. J’aimerais dire à Xavier que tout ira bien, mais en réalité je n’en sais absolument rien. Et puis il faudrait déjà qu’il avoue avoir tenté de se tuer.
-Et la petite à laquelle tu t’intéresses, là? je demande.
-Martine, répond-il avec un sourire.
-Ouais, l’autre Martine.
Il fait un geste vague, et crache son chewing-gum pour s’allumer une cigarette. Il m’en propose une, que j’accepte. Nous fumons en silence, la tête remplie d’images de femmes qui nous en font voir de toutes les couleurs. Xavier est terrorisé à l’idée de faire le premier pas, et moi je fatigue tout le monde.
Les bourrasques d’automne nous glacent les os, et je me demande réellement où est passé Vincent, même si je ne me fais pas vraiment de souci pour lui. En tout cas pas autant que pour le suicidaire qui m’accompagne, et sur lequel je n’ai aucune prise.
-Je suis pas suicidaire, râle Xavier. Et tu penses tout haut.
-Sérieux?
-Mais non, abruti, c’est juste que je te connais par cœur.
Le vent souffle comme une furie. Putain, je savais d’avance qu’on ne trouverait pas Vincent. L’hiver arrive à fond la caisse pour nous geler les couilles, et je refuse qu’il nous cloue dans le jardin de ma mère alors qu’elle fait cuire un gâteau pour nous à l’intérieur. A vrai dire on ne retrouvera pas Vincent tant qu’il ne le voudra pas, alors autant faire une petite pause et manger un putain de fondant au chocolat.
Xavier se fout des gâteaux. Il préfère clamer qu'il est coriace et se prendre des murs comme on le fait tout le temps. J'ai toujours peur qu'il me claque dans les doigts, et j'aimerais vraiment qu'il se repose parce que je serais déçu s'il ne mourrait pas de ma main.

-Je m’appelle Pierre A. et je pratique l'autofellation depuis l’âge de quatorze ans.
L’assistance salue Pierre, et l’écoute avec attention raconter comment s'autosucer permet de vraiment découvrir son corps, et octroie une indépendance sexuelle. Xavier fixe ses pieds en serrant la mâchoire. C’est à cause de choses comme celle-là que mes amis me détestent.
Il me demande en aparté comment une si petite ville peut abriter autant de tarés, et je lui réponds qu’il y a peu d’occupations par ici.
La salle polyvalente dans laquelle nous nous trouvons sent encore la sueur du cours de ping pong qui a eu lieu avant la réunion. Pierre A. explique que les femmes ne savent pas vraiment pratiquer la fellation. La réunion des dépressifs c’est le jeudi, mais je pense qu’on sera déjà repartis.
Xavier me fusille du regard à m’en faire rougir jusqu’aux oreilles. Je reluque la sortie de secours, tentant de mettre au point un plan d’évasion, tandis que mon ami continue de pointer sur moi ses yeux accusateurs. Je lui chuchote qu’on fait avec ce qu’on a, et que tout ça partait d’une bonne intention.
Il hausse les épaules et croise les bras, en prenant un air supérieur. Xavier pense certainement qu’il vaut mieux qu’un type qui se taille des pipes, mais c’est parce qu’il est souvent persuadé d’avoir raison. Je sens que je vais entendre parler de cette histoire pendant longtemps.
-Parce que c’est dur que personne ne vous aime, conclut Pierre A. sous les applaudissements.
Le chef de la séance se tourne vers nous et nous demande si on veut partager notre expérience. Je jette un regard vers Xavier, car après tout c’est lui qui a besoin de se confier. Ce dernier secoue la tête avec insistance et rougit à son tour. Je l’incite à se lever, et nos congénères l’encouragent à leur tour.
-Ton monde me rend taré parfois, me confie-t-il.
Devant les acclamations de l’assistance, il finit par se dresser sur ses jambes, et je sais en cet instant que je n’aurai pas besoin de revenir jeudi.
-Je m’appelle Xavier B. et je crois que d’aussi loin que je me souvienne je me suis toujours autosucé, dit-il d’une voix mal assurée.
Nos compagnons d’infortune le saluent, et il me chuchote qu’il manque d’inspiration. Je lui réponds que c’est dans ces cas-là qu’on fait les meilleurs discours.
-Je… Notre ami a raison, continue-t-il. C’est vraiment dur que personne ne vous aime. Vraiment. Mais ça sert à rien d'essayer d'aller mieux. On a beau se chercher des excuses, se répéter qu’on est la personne la plus qualifiée pour s’occuper de soi, au fond c’est des conneries. C’est vrai que les femmes n'ont pas la moindre idée de ce dont on a vraiment besoin, mais faut pas oublier qu'on a aussi de sacrés goûts de chiottes. Au final les mecs, je suis désolé pour vous, parce que c’est complètement con de se suffire à soi-même. Et croyez-moi je suis pire que vous à ce jeu là. Merci de votre attention.
Un silence de mort parcourt les tailleurs de pipes, et je commence à applaudir avant de m’en rendre compte. Xavier attrape sa veste, et sort de la salle à grands pas. Je m’élance à sa poursuite, et le rattrape sur le parking de la salle polyvalente. Il me demande de monter en voiture et de ne pas ouvrir ma gueule pour tout l’or du monde. Il nous conduit en trombe chez ma mère, sans décrocher un mot.
-Tu veux pas me laisser t’aider mec, dis-je en me risquant à parler.
-Je sais que ça part d’une bonne intention, soupire-t-il, mais c’est juste que tu devrais laisser courir les choses plus souvent. Tout le monde est pas comme toi, il y a des gens qui ont besoin de réfléchir, mec.
Ma mère nous accueille chez elle avec du café, que Xavier décline avant de monter s’enfermer dans ma chambre. J’attrape une tasse et m’assois dans le canapé en me traitant intérieurement de tous les noms.
-Comment s’est passé la réunion? me demande ma mère. Il va mieux?
J’enfile les vieux chaussons que je trimbale depuis l’adolescence et allume la télévision, en répondant que je me suis trompé de réunion. Ma mère explose de rire et lâche que ça me ressemble beaucoup. A la télévision passent des images du métro parisien couvert de graffitis «pas peur de vous», et de CRS débordés par la foule dans plusieurs grosses stations. Ma mère me conseille de retarder un peu mon retour.
-J’ai ma vie là-bas maintenant, maman.
-Tiens, répond-elle, j’ai réparé ton vieux manteau d’hiver.
Elle me fait essayer le vieux sac de toile matelassée qui m’a protégé de nombreuses tempêtes, en précisant qu’elle a rajouté une doublure et une capuche avec de la moumoutte. En passant le vêtement, j’ai l’impression de doubler de volume. Je tente de ramener mes bras le long de mon corps, et réalise que c’est chose impossible. J’ai envie de préciser à ma mère que Paris n’est pas en zone montagneuse, mais je me contente de la remercier.
-Avec ça tu pourrais même survivre à une guerre nucléaire, plaisante-t-elle.
-S’il pouvait être à l’épreuve des balles, ce serait déjà pas mal.
-Arrête, c’est vraiment pas drôle.

Pour être heureux il suffit de pas grand-chose. Je devrais peut-être juste boire un peu moins de café et arrêter d’écouter France Info en espérant des jours meilleurs.
Le sable mouillé défonce mes chaussures, et le bruit des vagues tonitruantes me secoue comme un marteau-piqueur. Les ferrys au loin rallient une Angleterre qui est bien trop loin pour être aperçue. Au fond la mer nous invite à rejoindre les îles au loin, c’est juste qu’elle parle trop fort pour qu’on la comprenne.
Xavier est resté dans la voiture, et téléphone à sa Martine. Dans quelques heures il va me demander de rentrer à Paris.
Mon manteau d’hiver est à l’épreuve du vent, et de l’eau, et du sable. Il me protège de la mer qui est déchainée aujourd’hui, et de l’hiver qui veut notre peau chaque année un peu plus. Je compose le numéro de Vincent sur mon téléphone, et me rends compte que le réseau n’arrive pas jusqu’ici.
J’enlève le manteau. J’enlève mes chaussures et mon pantalon, et me confronte au vent. Je me délaisse de mon pull, et vérifie que Xavier ne me regarde pas, parce que je sais très bien qu’il m’accuserait de jouer une fois de plus les exhibitionnistes.
Je marche jusqu’à l’eau et trempe mes pieds dedans. Les vagues viennent chatouiller mes mollets, et je mouille légèrement ma nuque pour m’habituer au froid. Un ferry fait sonner au loin sa corne de brume.
J’avance dans l’eau jusqu’à perdre pied, et le froid perce mon corps de ses milliers d’aiguilles. Tu sais pas vraiment ce que tu fais, mais tu le fais. Tu laisses courir les choses. Ou peut-être que tu penses trouver Vincent à Portsmouth.
J’entends Xavier hurler quelque chose loin derrière moi, mais le vent couvre ses paroles. Claquant des dents, je me mets à nager en direction de l’Angleterre, et l’espace d’un instant il ne me paraît pas impossible de l’atteindre.
Chaque vague me ramène en arrière, et je dois lutter de toutes mes forces pour avancer malgré tout. Je revois mon objectif à la baisse, et espère pouvoir simplement me faire tracter par un ferry. L’eau glaciale s’infiltre par chaque pore de ma peau et m’empêche de réfléchir clairement. Après quelques dizaines de mètres contre le courant, épuisé, je me mets à faire la planche.
C’est alors que je remarque Xavier qui fonce dans l’eau tout habillé, se lançant à ma poursuite. J’aimerais que les quelques minutes qu’il me reste à vivre ne soient pas perturbées par un défenseur acharné de la terre ferme.
Le froid a maintenant engourdi tous mes membres, et je peine à les remuer. Xavier perd pied à son tour, et son problème à lui c’est qu’il sait à peine nager.
Et encore une fois, l’idée qu’il meure sans que je l’aie voulu m’est insupportable. Je m’élance à sa rencontre, et le courant est cette fois de mon côté. Aidé par les vagues, je mets quelques secondes à parcourir le chemin en sens inverse, tandis que mon ami sombre dans les profondeurs de l’océan.
Je l’attrape par les aisselles et le traîne en direction du rivage, les jambes tiraillées par la douleur. Arrivés à la terre ferme, à bout de forces, nous nous étendons sur le sable, les pieds chatouillés par les vagues.
-Tu as encore essayé de te suicider, dis-je en grelottant.
Il sourit de ses lèvres bleuies, et me flanque un coup de poing dans l’épaule, mais heureusement le froid anesthésie la douleur.


Note: Vérifier si les ferrys ont des cornes de brume.

Prochainement: Roger est de retour.

19 novembre 2009

07. Martine

Que quelqu’un fasse quelque chose: Il y a un prétendu écrivain qui se balade ivre parmi les convives pour parler de lui.
J’explique à Martine d’où vient mon pseudo et elle explose de rire en me disant que je suis vraiment pathétique. Je me renfrogne, et voyant qu’elle m’a vexé, elle pose doucement ses lèvres sur mes joues, avant d’ajouter que je pique.
-Ce que je voulais expliquer, dis-je en faisant quelques efforts pour articuler, c’est que je veux pas m’éloigner du côté populaire de l’art.
-C’est vrai que tu étais en plein dans les émeutes?
Je baisse les yeux et souris en tentant de paraître modeste. Je réponds que j’essaye d’être un écrivain populaire, et elle me fait remarquer que je n’ai que ce mot là à la bouche. En fait je ne suis pas vraiment d’humeur à faire face à la critique, alors je lui demande si elle veut voir mes tatouages.
Son rire est des plus francs, et me désarçonne un peu. Les effets de l’alcool agrandissent son sourire, et me rapetissent un peu. Il fallait que je tombe sur la seule connasse de la soirée qui apprécie que je fasse n’importe quoi.
Un peu maladroitement je commence à défaire les boutons de ma chemise, pendant qu’elle m’observe d’un regard amusé. Je sens une main se poser sur mon épaule et me tirer vers l’arrière. Vincent me plaque contre un mur en me demandant pourquoi je ne manque jamais une occasion de me ridiculiser. Articulant à peine, je lui réponds que j’en ai rien à foutre parce que je vais conquérir le monde et forcer les gens à m’aimer.
Il me fait assoir sur une chaise en marmonnant que je tiens l’alcool comme sa sœur, et me met de petites claques pour me réveiller. La musique est trop forte, et la pièce n’est pas assez éclairée. Je crois que si on s’amuse comme ça c’est parce qu’on a pas encore trouvé d’autre manière de le faire. On danse au bord des précipices, en attendant de savoir si la guerre civile aura bien lieu.
L’ivresse brouille les couleurs autour de moi et me fait vivre dans un tableau impressionniste. La voix lointaine de Xavier m’explique que Vincent est parti se chercher un verre, avant de me demander si j’ai croisé de beaux mecs ce soir.
J’ouvre grand les yeux et le gratifie d’un doigt d’honneur avec l’annulaire. J’essuie la sueur sur mon front avec une veste qui traîne sur un dos de chaise, et râle au sujet de la musique de merde qui passe à fond.
Vincent nous rejoint et explique à Xavier que j’ai traumatisé Martine en essayant de me foutre à poil devant elle. Ce dernier lui répond que ce serait plus facile pour tout le monde si j’assumais enfin mon homosexualité. Vincent, plus sérieux, me demande pourquoi je n’ai jamais de copine.
-Parce que les meufs détestent les écrivains, dis-je en étouffant un rot alcoolisé.
Mes deux amis écarquillent les yeux, atterrés par ma bêtise. J'ai l'impression que malgré toutes les précautions que je prends, moins je bois d'alcool, et plus je finis dans des états lamentables.
Je précise que c’est une blague sur un ton d’excuse, mais Vincent et Xavier m’abandonnent seul sur ma chaise pour retourner s’amuser pour de vrai.
Les couleurs accompagnent les danseurs et contredisent le rythme de la musique. C’est pas possible que les choses soient aussi absurdes, et je me rassure en me répétant que tout rentrera dans l’ordre après un bon verre d’eau.
Je laisse mes suppositions s’évaporer dans l’ambiance de la fête, et j’aperçois de loin Martine qui danse avec un type bien moins ivre que moi. Cette chaise sur laquelle je suis assis est un trône que j’ai bâti pour être le roi des cons. Mon fief s’étend jusqu’à la cuisine et je règne sur quelques mètres carrés de champs en friche, parce qu’il faut bien laisser les cultures se reposer pour avoir de bonnes récoltes l’année d’après.
Les paysans sont armés de fourches et réclament ma tête, mais j’ai une épée,forgée en secret dans la montagne sacrée qui borde mes terres, et elle coupe la pierre comme si c’était du pudding. Alors ce n’est vraiment pas quelques simples humains qui vont me faire peur.

-Dieu merci, j’ai cru que j’avais rêvé tout ça en me branlant tout bourré…
Martine explose de rire, et je n’en reviens pas d’avoir dit ça dès le réveil. Je réalise avec effroi que je suis encore ivre. Je relève le drap et m’extrait promptement du lit pour enfiler mon maudit jogging. La station debout s’avère pénible, et je me sens incapable de regretter quoi que ce soit, parce que je suis déjà mort.
Martine m’explique que je suis moins musclé que dans ses souvenirs, pendant que je titube jusqu’à la cafetière. J’observe mon cadavre de loin, il est debout et se débat avec une situation qui le dépasse. Je me demande pourquoi il panique autant, vu qu’il ne risque plus rien maintenant.
Le mort-vivant demande poliment à sa dulcinée si elle veut du café, et vide le paquet dans un filtre sans attendre la réponse. Il met la machine en marche et retourne se mettre au lit en gardant son jogging. La fille vient se blottir contre lui en lui demandant ce qu’il fait aujourd’hui, et il répond qu’il travaille.
-Tu travailles chez toi, non? Xavier m’a dit que tu écrivais pour un blog en ce moment.
-En fait je suis serveur.
-Mais tu es aussi écrivain?
Je souris comme pour éluder la question. En fait je sais pas vraiment ce que je suis, et j’ai prétendu être écrivain pour coucher avec cette fille. Le bruit de la cafetière vient combler le vide de la conversation, pendant que j’essaye de maintenir dans mon crâne les phrases stupides qui tambourinent pour sortir.
Ma chambre tremble sur ses fondations, et je pose ma tête sur la poitrine de Martine pour cacher à ma vue ce monde qui remue parce qu’il n’a rien trouvé de plus amusant. Le soleil perce violemment les rideaux, et donne une teinte orangée à la pièce. Les feuilles des arbres font des ombres chinoises sur le mur, qui dansent comme un mobile.
-Je crois que je fais souvent n’importe quoi, dis-je.
-Ouais, répond-elle. C’est trop cool.
La cafetière a maintenant cessé son vacarme. Je rabats le drap, et Martine me traite d’enculé parce qu’il fait froid chez moi. Je crois que le café ne va pas suffire.
Je me lève pour aller nous servir deux tasses, et je l’entends dans mon dos qui me fait la remarque que j’ai une sacrée collection de bandes dessinées, avant de me demander si elle peut en lire une. Un peu revenu de mon ivresse, je retourne me mettre au lit avec les tasses, et cette fois je retire mon jogging.
-C’est trop cool, dis-je en sirotant mon café.
-Carrément.

Vincent est parti ce matin. Sa mère nous a appelés en pleurs pour nous dire qu’il allait chercher sa copine bloquée en plein dans les nouvelles émeutes qui éclatent en province, à cause de la grève générale de la SNCF. Le temps qu’on arrive pour le raisonner, il était déjà loin. Ce con a pris son scooter, en assurant qu’il ne risquait rien, avant de se précipiter vers l’œil du cyclone. Sa tendance à jouer les chevaliers est l’un de nos sujets de plaisanteries récurrents.
Je bâille à gorge déployée, en observant les reflets rougeâtres du coucher de soleil sur la capitale. Les passants mécontents m’observent d’un œil méfiant, sans doute à cause de la cigarette que je fume qui pollue l’air qu’ils respirent. Ou peut-être parce Xavier a garé la voiture de la mère de Vincent en plein milieu de la route.
J’explique à Martine qu’il ne s’agit pas vraiment d’un week-end à la campagne mais d’une opération de sauvetage, et elle se moque de ma tendance à tout dramatiser. C’est pas elle qui a dû promettre à une mère morte d’inquiétude de lui ramener son fils vivant. Xavier, lui, fait des allers-retours nerveux pour charger le coffre du véhicule de mille trucs inutiles qu’il emporte «au cas où l’on doive faire face à une guerre civile». J’ai envie de lui expliquer qu’on utilise pas de napalm pour réprimer les révolutions, et qu’il est inutile d’emporter des tenues ignifugées.
Le crépuscule assombrit le regard de Martine, et dessine des soucis sur son visage. Je lui explique que ce n’est pas grave, et que je reviendrai bien un jour.
-Je sais, répond-elle. Ce qui me rend triste c’est que je sais très bien que je ne t’attendrai pas.
Xavier me hurle de loin qu’il a fini de charger la voiture. J’aimerais que les gens voient le côté courageux de ce que je fais, même quand ce que je fais est stupide. Martine m’embrasse, un peu trop poliment à mon goût. J’aurais préféré plus de fougue pour un baiser d’adieu, mais c’est parce que je regarde trop de films américains.
Elle passe sa main sur ma joue avec douceur en me demandant pourquoi je ne suis jamais bien rasé, et ma réponse la fait rire. Elle me colle une petite claque au cul et je vais rejoindre Xavier à la voiture, un peu honteux. Il démarre et nous quittons Paris sans que j’aie pu dire à Martine que j’ai finalement changé d’avis.
L’autoroute s’ouvre à nous, dans la lumière incandescente, et nous emmène droit sur les flammes du crépuscule. J’ai subitement peur de ce qu’il y a derrière, et commence à comprendre l’utilité des combinaisons ignifugées.
-Pourquoi t’appelles toutes les filles «Martine»? me demande Xavier.
-Ca m’évite de les confondre entre elles.
-C’est une réponse de pédé.
En fait c’est certainement parce que j’envisage trop le genre humain par rapport à moi. Sur les panneaux d’indications de l’autoroute ont été accrochées des banderoles qui disent «marre de s’en prendre plein la gueule», et je crois que pour la première fois je pardonne ceux qui ont voté à droite.
Xavier semble en forme pour conduire de nuit, mais je m’efforce de garder les yeux ouverts pour lui tenir compagnie.
-Mec, dis-je, pourquoi on est incapable de réagir avec modération?
Il accélère imperceptiblement. L’autoroute est pratiquement déserte, et le soleil maintenant couché ne signale sa présence que par quelques nuages violets qui planent au dessus de la ligne d’horizon. C’est presque trop d’espace d’un seul coup.
Xavier n’a pas besoin de répondre à ma question.


Note: N’oublie pas que ta mère va lire ça.

Prochainement: Xavier dit qu’il est trop intelligent pour se suicider.

17 novembre 2009

06. Vincent le negociateur

-J’ai pas vraiment aimé ta dernière nouvelle.
Je lève les yeux au plafond en me demandant comment Vincent peut penser à ce genre de choses dans un moment pareil. En appuyant avec mes coudes, je tente de dénouer des épaules de Xavier, qui est recroquevillé en position fœtale et qui tremble comme une feuille. Tandis que je presse de toutes mes forces pour essayer de le débloquer, Vincent ajoute que ce que j’ai écrit n’est pas très crédible.
-Je t’imagine pas vraiment en train de tuer un homme, précise-t-il.
Je tente de forcer Xavier à étendre ses jambes, mais rien n’y fait, et les soubresauts qui le parcourent semblent même l’empêcher de communiquer autrement que par onomatopées. Le type du banc d’en face, les mains pleines de cigarettes qu’il regarde comme des lingots d’or, marmonne quelque chose comme «à moi».
-Putain, dis-je à Vincent, c’est toi que je vais tuer, mec. Tu veux pas m’aider?
-Il y a rien à faire, tu sais très bien qu’il a peur des flics.
Il m’annonce qu’il va nous faire sortir, et se lève du banc pour aller parlementer avec l’officier chargé de l’accueil. Pendant ce temps, ce connard de Xavier se mord les genoux pour arrêter de claquer des dents. On a vraiment pas idée de faire une crise d’angoisse à chaque fois qu’on croise un uniforme.
Le type du banc d’en face me demande si je n’ai pas de cigarette et je lui intime de se la fermer. Je cesse d’essayer de déplier mon pote, et m’allonge sur le banc en observant Vincent de loin, qui fait de grands sourires au policier.
C’est ma faute. Si je n’avais pas monté d’expédition punitive de nuit contre le resto où je travaille, on ne serait pas assis sur un banc en face d’un collectionneur de clopes visiblement drogué à mort, en train d’attendre qu’on appelle mon patron.
-Je suis désolé, dis-je à Xavier. C’est juste que tu comprends, j’en pouvais plus de sa musique de merde, je voulais juste lui casser sa chaîne hifi… Je pouvais pas savoir que les flics faisaient des rondes la nuit dans le quartier.
Il ne répond rien mais mord ses genoux un peu plus fort. Un homme en uniforme passe devant nous et fait redoubler les secousses. J’aperçois Vincent qui se marre avec le type de l’accueil.
J’explique à Xavier que c’est pas possible de bosser dans un environnement hostile, et que c’est pas parce que tu as quinze versions de Summertime que t’écoutes de la bonne musique. J’essaye de le convaincre que ma cause est juste.
Ses mâchoires s’entrouvrent, et je songe avec espoir que sa crise d’angoisse se termine. Pendu à ses lèvres, j’attends la parole qui va sceller notre amitié dans l’adversité, comme dans un film américain. Mais tout ce qu’il parvient à dire en claquant des dents c’est «T’as fait tout ça pour finir en prison, parce que tu aimes te faire péter le cul, sale pédé».
Il me lance un regard assassin et recommence à se mordre les genoux. Le type aux cigarettes, qui n’a rien perdu de notre échange, me tend une cigarette d’un air concerné en murmurant «à toi». Je m’appuie contre le mur et fixe les affiches de recrutement de la police, en me demandant s’ils espèrent vraiment trouver leurs nouvelles recrues dans un endroit pareil.
Vincent revient vers nous, et nous annonce qu’on est libres. Je lui demande s’il se fout de ma gueule. Il m’aide à lever Xavier, qui met bien deux minutes à poser les pieds par terre. Il nous entraîne vers l’accueil où l’officier nous demande de signer un formulaire. Vincent me chuchote à l’oreille qu’ils ne vont même pas appeler mon patron.
C’est pas vraiment des amis que j’ai. C’est des gens qui m’accompagnent au quotidien pour tenter de rendre la vie plus absurde.
Xavier se détend un peu, tandis que Vincent arbore un sourire de triomphe. Je suis forcé d’admettre qu’en ce moment il est un peu mon super-héros. J’entends une discussion animée au loin, en direction de la porte de sortie, et je me hâte de signer le papier qu’on me tend.
Vincent m’annonce qu’il a bien mérité un Macdo, et je ne peux qu’acquiescer. Je griffonne mon nom en vitesse, Xavier aussi mais d’une main encore un peu tremblante. J’ai l’impression que je vais jouir rien qu’en respirant l’air de dehors.
Une bombe lacrymogène fait irruption dans le couloir, provoquant des cris de panique parmi les policiers. Je reste pétrifié, me demandant si Xavier a organisé une caméra cachée pour me faire chier.
Je ne saisis pas vraiment ce qui se passe ensuite. Des coups de feu éclatent, tirés par les policiers, et par des silhouettes cachées derrière l’écran de fumée, qui s’étend rapidement dans tout le commissariat. D’autres lacrymos sont lancées, et achèvent de plonger l’endroit dans le chaos.
Une clameur sourde nous parvient de dehors, alors que les flics s’affairent à hurler sur toutes les personnes présentes pour qu’elles s’allongent par terre.
Ne voulant pas faire le plaisir à Xavier de paniquer devant les caméras, je tente de garder mon calme. Vincent nous attrape tous les deux pour nous plaquer au sol en nous criant qu’on est des attardés mentaux. En me cognant la tête contre le lino, je traite Xavier de tous les noms en lui demandant si sa petite farce le fait rire.
Je vois passer le collectionneur de cigarettes qui titube et renverse son butin, paniqué. Vincent attrape une clope qui roule jusqu’à lui et l’allume avec des doigts tremblants.
-Tu nous as mis dans la merde, tu nous en sors, dit-il d’une voix blanche.
Les flics autour de nous semblent débordés, et des bruits de combats au corps à corps se détachent peu à peu de la fumée qui a tout envahi. Je m’allonge sur le dos et me protège du brouillard étouffant avec le col de mon tee shirt. Bordel, on a pas idée d’avoir une vie aussi merdique.
-Je peux rien faire, dis-je en suffocant un peu, et puis ça n’a rien à voir avec moi.
Je mens beaucoup trop. Les choses arrivent parce que je ne les écris pas, comme pour me rappeler que je dois aborder certains sujets. J’ai provoqué cette situation en y en pensant pas d’abord pour l’exorciser. C’est pas possible que les phrases s’enchaînent comme ça, sans aucun sens, et il fallait bien que ça pète un jour.
L’agitation autour de nous ne diminue pas, et je hurle à mes compagnons qu’il faut tenter une sortie. Vincent jette sa cigarette, et Xavier parvient à se lever sans notre aide. Nous nous ruons sur le couloir d’où viennent les affrontements, pour y découvrir exactement ce que nous craignions.
Ce ne sont pas des terroristes qui attaquent le commissariat, pas plus que des sans-papiers ou des activistes politiques. Ce sont des gens comme vous et moi, vieux et jeunes, armés de barres de fer et de quelques flingues, groupés en une foule compacte et enragée. Une foule qui hurle sa haine dans un fracas qui fait trembler les murs. Des hommes cravatés tabassent un policier à coups de clubs de golf, tandis qu’une jeune femme enceinte vide un chargeur à l’aveugle dans le brouillard blanc.
Mes amis et moi nous mettons à courir en baissant la tête, et j’ouvre le passage dans la foule à coups de coudes. Je pousse une vieille dame armée d’une cane, en jetant un coup d’œil derrière moi pour vérifier que Vincent et Xavier suivent le mouvement.
Les fumées sont asphyxiantes et je finis par fermer les yeux. Je pousse chaque corps sur mon passage, encaisse de nombreux coups sur mes épaules, et remonte la foule à contresens. Je me retrouve dans un abime sombre, attaqué par des monstres fantomatiques, que je dois dégager de ma route pour avancer. Je retourne un instant dans ce monde qui est le mien, fait d’obscurité molle, et je vole contre le vent en négociant chaque mètre.
Je m’en veux de ne pas y avoir pensé, vraiment. J’avais trop peur pour écrire sur autre chose que ma gueule, et maintenant le monde se rappelle à mon bon souvenir. J’entends la voix de Vincent derrière moi qui me hurle de continuer d’avancer. Un coup de feu tiré à quelques mètres de moi me fait siffler les oreilles et la suite de la phrase de mon ami se perd dans la clameur guerrière.
De manière générale, on manque de protection. On est assaillis de toute part, et on s’en prend véritablement plein la gueule. Et écrire c’est se protéger, espèce d’abruti… Tu aurais pu empêcher tout ça.
J’ouvre les yeux et défonce le nez d’une femme devant moi d’un coup de tête. Il faut s’accrocher aux choses concrètes.
En redoublant d’efforts, je pousse encore quelques personnes pour arriver à la porte de sortie. L’air est déjà plus respirable, et les coups de feu paraissent plus lointains. Je me retourne vers Vincent, qui soutient Xavier pour l’aider à marcher. Il me tend la main et je le tire de toutes mes forces pour l’arracher à la foule. Nous finissons par sortir de l’enfer pour nous écrouler sur le trottoir.
Je suis pas habitué à avoir autant de prise sur les événements. D’habitude je laisse faire Xavier, et c’est sans doute ce qui explique que je soie épuisé. A plat ventre sur le bitume, je me laisse bercer par les tremblements du sol et l’odeur de la nuit parisienne.
J’aimerais que ma joue ne soit pas en train de s’abîmer sur le sol, et que Paris n’ait pas décidé de pêter un câble précisément aujourd’hui. Je voudrais remonter dans ma tour d’ivoire pour ne pas me prendre la réalité de plein fouet, et devenir un écrivain en retrait, parce que je trouve que ce sont les plus talentueux.
Ce corps couvert d’écorchures qui gît sur le trottoir, j’aurais préféré que ce ne soit pas le mien. Je me relève avec les membres tremblants, et je crois que la tête que je me tape fait peur à Vincent et Xavier. Les gens continuent d’affluer vers le commissariat, et dans la rue plusieurs voitures brûlent.
Vincent affirme qu’on a bien mérité un Macdo, et je ne peux décidemment qu’être d’accord.


Notes: -Le narrateur se plaint trop, ne pas le victimiser.
-Emeutes non expliquées.

Prochainement: Martine

15 novembre 2009

05. Roger mon nouvel ami

-Tu devrais vraiment lire ce livre, me conseille Roger.
Et il me tend le bouquin d’un auteur torturé qui raconte son enfance traumatisée par une mère alcoolique et un père absent. Je lui demande s’il me prend pour un français moyen.
Roger est arrivé il y a quelques jours d’un futur alternatif où je suis prix Nobel de littérature. Depuis, il essaye de me remettre dans le droit chemin littéraire. J’ai commencé par arrêter de voir Vincent et Xavier, qui selon Roger «me détournent de la poésie et de l’approche humaniste du monde qui m’ont valu mon prix Nobel».
En parcourant la quatrième de couverture du bouquin, je peux lire une petite profession de foi de l’auteur qui explique qu’il a voulu «exorciser les démons de son enfance par une écriture salvatrice». Roger, qui lit par-dessus mon épaule, explique que c’est un livre qui m’a énormément influencé.
Je repose le livre, et inspecte les étagères de la bibliothèque à la recherche de quelque chose qui pourrait me plaire. Je flâne dans les rayons pendant que Roger feuillète le roman que j’ai écrit, qu’il a apporté avec lui.
Dans le futur je n’ai jamais écrit ce premier roman foireux, et Roger le tient pour responsable du changement de trajectoire temporelle qui a motivé son voyage. Je finis par accepter de lire le livre que Roger m’a conseillé, écrit par cet auteur torturé, et il paie pour moi.
-J’ai du mal avec les écrivains qui racontent leur vie, dis-je en grommelant.
-C’est un peu ce que tu fais.
Et il a raison. Il m’annonce que je dois me débarrasser de la colère que j’ai accumulée, qui me fait écrire sur des sujets qui n’intéressent pas vraiment les gens. Que le lecteur mérite une élévation.
Dans la rue, les bruits de scooters et de personnes emplissent les trottoirs et font que j’ai envie de marcher plus vite. C’est comme si les passants riaient de moi parce que je ne les envisage pas vraiment. C’est la ville elle-même qui fait un concert pour ma gueule en me rappelant qu’elle existe, que je le veuille ou non.
Je ne peux simplement pas m’empêcher de parler des odeurs, des sons, et l’incapacité de retranscrire une lumière d’hiver par des mots me rend parfois malade.
La ville défile sous mes pas, et en passant la Seine j’ai l’impression de laisser certaines ambitions derrière moi. J’ai vraiment besoin de ce prix Nobel.
-Tiens, ce passage, par exemple, dit Roger en me pointant un paragraphe de mon manuscrit qu’il a entouré:
" ...Helena de Suza appuya sur la détente, et trouva le geste plus facile à effectuer qu’elle ne l’aurait crû. La tête de Gregor partit dans une rafale de chair folle qui barbouilla les murs immaculés. Elle lâcha son arme et observa ce corps décapité qui restait debout. Puis dans un son de viande broyée, la tête de Gregor se mit à repousser à toute vitesse. Bientôt entièrement rétabli, ce dernier la gratifia d’un sourire vicieux avant de lui demander si elle avait vraiment pensé que ce serait aussi facile."
Roger me demande si j’ai compris pourquoi ce passage cloche. Je lui prends le manuscrit des mains et le jette à la Seine.
-On va faire de la putain de littérature, mon pote, dis-je.
Je suis un peu trop sûr de moi, mais c’est parce que je reçois trop d’encouragements. J’ai longtemps cru que ma tendance à dévaluer mon travail venait de ces conneries psychologiques de manque de confiance. Mais maintenant je sais que les vrais responsables sont mes soi-disant amis qui m’encouragent à écrire de la merde.
Dans le futur de Roger, je n’ai jamais touché une cigarette et je raconte des histoires sensibles et réalistes. Les gens se déplacent en jet-pack et lisent réellement des livres. Et je n’ai aucune raison d’être en colère tout le temps.

-Ferme les yeux et essaye d’imaginer que ton corps est plus lourd.
J’ai envie de répondre à Roger que je trouve mon corps plus lourd à chaque instant. Qu’en se frottant à la vie on gagne en consistance. Mais ce serait foutre en l’air son exercice de relaxation.
Il me demande d’imaginer que mes pieds sont lourds, puis mes jambes, puis mon pubis, et je crois qu’avant qu’il arrive à me tête je vais exploser de rire. Et s’il me demande encore de me calmer je vais lui sauter à la gorge.
-Ta tête est lourde, murmure-t-il.
Evidemment que ma tête est lourde. Elle se charge de toutes les merdes qui passent, et gonfle à en péter à force d’essayer d’emmagasiner le monde entier. Elle voudrait savoir décrire Paris, parler de tristesse explicite ou maîtriser l’envolée lyrique. C’est peine perdue d’essayer d’expliquer le monde par les mots, et c’est uniquement parce que je ne sais pas dessiner que j’ai voulu devenir écrivain.
Roger me demande si je suis bien recentré avec moi-même. Le truc, c’est qu’avec les yeux fermés je ne vois qu’un foutu infini obscur dans lequel je navigue en volant. Ça et là, des sirènes aux gros nibards se baignent dans des trous noirs. Je manque de percuter Superman qui arrive en sens inverse et qui vole bien trop vite. Je sais pas trop si c’est ce qu’on appelle se recentrer avec soi-même.
Mon ami du futur me rappelle à l’ordre. Il m’invite à visualiser les causes de ma colère permanente, et par paresse je commence par imaginer notre président qui danse sur une montagne de crânes humains en riant. Roger me demande de me concentrer sur mes anciens amis.
Vincent et Xavier font irruption dans le vide sidéral. Ils me font un signe de la main qui est bien loin du salut amical. Je tente de voler vers eux mais le vide est comme de la gelée et il me faut redoubler d’effort pour avancer de quelques centimètres. Je me débats dans un néant mou et opaque, et j’aimerais en cet instant être plus puissant dans ce monde qui est le mien. Certainement un problème de confiance.
-Pourquoi tu en veux à tes amis? me questionne Roger.
-Parce qu’ils sont pas d’accords avec moi.
Mes mains se chargent d’énergie cosmique que j’alimente de mes certitudes de débutant. Je tente de projeter des rayons mortels sur leur gueule mais l’obscurité solide m’en empêche. Même mon monde imaginaire ne m’approuve pas vraiment.
Roger me dit que ça veut peut-être dire que je ne suis pas d’accord avec moi-même. Je me sens forcé de lui avouer que je suis rarement sûr de quoi que ce soit. Il me demande d’évacuer ma colère.
Je regarde mes bras qui se couvrent de chair de poule. Je tente d’irradier par chaque pore de ma peau, d’évacuer cette rage qui me fait exploser parfois. Un liquide brun et nauséabond commence à suinter par mon front et mes aisselles. Il est visqueux et brûlant, et bientôt il se met à couler partout sur ma peau. Mes poils et mes sourcils se carbonisent, effacés par une coulée de lave sombre.
Chaque parcelle de mon corps expulse des flots de cette bouillie purulente qui me met au supplice. Le feu ronge mon épiderme comme un enculé.
J’ouvre brusquement les yeux et c’est le futur lui-même qui bascule pour m’inonder de prix Nobels.

C’est la deuxième fois que je passe la Seine aujourd’hui. Roger dit que le Pont Neuf est bon pour mon inspiration. Que je dois m’attarder sur les moments de grâce.
-Tu dois arriver à voir la beauté d’une rue, ou d’un baiser volé à la sortie d’une station de métro. Pas celle d’une tête qui explose et qui repousse.
Le vent me fouette le visage et me fait plisser les yeux. Les rayons du soleil de dessinent parmi les nuages bas et la brume légère qui s’échappe du fleuve. Ils deviennent des herbes folles un peu jaunes, et je suis forcé de constater que Roger a eu raison de m’amener sur ce pont.
Il se penche sur la rambarde pour observer les bateaux. J’en profite pour le pousser et il va s’aplatir dans l’eau dans un bruit sourd. Je crois que je sais pas vraiment ce que je veux.
Le problème c’est que je vois la beauté partout, et pas juste au Pont Neuf. J’ai envie de parler des événements qui font basculer des vies et de ceux qui ne changent rien. Je veux raconter des histoires de pirates modernes et de zombies qui s’ignorent.
Et plus que tout, je veux que la colère gronde. Qu’elle envahisse ce monde horrible pour le faire trembler sur ses fondations.
Je vais tenter d’obtenir le prix Nobel malgré elle, et malgré mes amis qui aiment trop que j’écrive autre chose que de la littérature. Je vais peut-être même viser le prix de médecine.
Je demande une cigarette à une fille qui passe, qu’elle me donne avec un regard de dédain, en me demandant si je ne peux pas bouger mon cul jusqu’au tabac.
Je n’aurais pas dû lancer mon manuscrit à la Seine. En m’éloignant du Pont Neuf, je trouve Paris baigné de cette lumière d’hiver que je n’arrive pas à décrire, et les passants engoncés dans leur foi en des jours meilleurs. Et je vois la beauté dans ce futur soudain incertain, avec ou sans prix Nobel, qui échappe totalement à ma perception.
Il est changeant et se fout pas mal de nous qui sommes terrorisés. Mais on peut pas passer son temps à avoir peur, et fondamentalement c’est une bonne chose de faire n’importe quoi.


Note: Creuser le côté science-fiction.

Prochainement: Vincent le négociateur

13 novembre 2009

04. Vincent me casse la gueule

- Je te pisse dessus, je te chie dans la raie, je te bouffe la nouille. Et tu te relèves pas.
Et sur ces mots, Vincent me décoche un coup de pied retourné en pleine face. Je tente de me protéger avec mes avant-bras mais il passe ma défense. Je contrattaque avec un uppercut, qu’il esquive. Une rage sourde, un besoin irrépressible de lui éclater la gueule monte en moi comme un geyser de bile.
Je frappe à l’aveugle, de toutes mes forces, avec mes pieds et mes poings, mais il esquive ou encaisse chacun de mes coups. Puis il attrape mon bras et effectue une prise de son jujitsu de merde.
Je martèle frénétiquement la touche de ma manette qui commande le mode «protection», mais le gros noir balèze, mon alter ego dans le jeu, plie sous les coups. C’est plus fort que moi, il faut toujours que je choisisse le plus costaud, jamais le plus fort. Mais Vincent a lui aussi un personnage attitré.
-Tu choisis toujours le putain de chinois, dis-je.
-Je choisis celui que je maîtrise le mieux, répond-il.
C’est ce que je croyais avoir fait moi-même, mais un «dragon fist» finit par étendre le gros noir balèze. Je pose la manette et tente de me calmer. A l’écran, le chinois commence à effectuer une sorte de danse de la victoire, faite de démonstrations de prises de jujitsu et de ce qui s’apparente à du disco. Vincent allume une cigarette d’un air de vainqueur et me souffle sa fumée au visage.
-Dans la vraie vie je te défonce, dis-je sans desserrer les mâchoires.
Il objecte que dans la vraie vie il est le seul qui sait se battre. Il ajoute que mon problème dans la vie, c’est que je ne suis doué pour rien. Pendant que je vais ouvrir la fenêtre, il envoie un texto à Xavier pour lui faire part de sa victoire, en précisant bien qu’il m’a battu «avec le chinois».
Je vais arriver en retard au travail. Je m’assois sur le rebord de la fenêtre et laisse les rayons bas du soleil réchauffer mon corps et détendre mes muscles. Les voitures qui passent me portent, m’emmènent visiter la ville, et admirer les ombres chinoises aux rideaux des immeubles.
En me retournant vers Vincent, je constate qu’il est en train de me montrer ses fesses. Il met des petites claques dessus, et j’ai subitement du mal à garder mon sérieux. J’attrape ma veste et l’enfile en feignant de l’ignorer.
-En fait, conclut-il, c’est pas que tu soies doué pour rien, c’est juste que je suis meilleur que toi partout.
-Partout?
-Sauf quand il s’agit de se faire enculer, alors là c’est toi le meilleur. N’empêche qu’avec un peu d’entraînement, moi aussi je peux devenir écrivain.
J’enfile mes chaussures en murmurant que je voudrais bien voir ça, et ma remarque semble lui faire de la peine. Redevenu sérieux, il objecte que je passe mon temps à le rabaisser.

" ...Vincent comprit alors que le seul moyen de se débarrasser du gros pédé était d’empoisonner son corps avec des excréments.
«Je vais lui dévisser la tête et lui chier dans le cou» pensa-t-il. Et c’est exactement ce qu’il fit. Il attrapa la tête du salopard déviant et commença à la faire tourner, jusqu’à ce que sa colonne vertébrale craque. Puis il tourna encore afin d’arracher les ligaments, et envoya la tête rouler plus loin comme on se débarrasse d’un bouchon.
Avec un rire démoniaque, il entreprit ensuite de baisser son pantalon, et déféqua de toutes ses forces dans la trachée du cadavre, laissée à l’air libre. Le cri bestial qu’il poussa fit fuir tous les animaux de la forêt."

Atterré, je regarde furtivement Vincent, dont les yeux sont fixés sur moi, attendant ma réaction. Son petit sourire en coin trahit une jubilation intérieure.
-Je l’ai mis sur internet et j’ai fait comme si c’était toi qui l’avait écrit, pouffe-t-il en se caressant la moustache d’un air satisfait. Ca t’apprendra à écrire des trucs sur moi où je passe pour un con.
Je me prends la tête dans les mains et serre à l’en faire exploser. Que Vincent écrive des nouvelles dans lesquelles il me chie dans le cou n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le truc c’est qu’on ne peut pas s’attaquer à lui, parce qu’il est complètement taré. Si tu lui accroches un poisson d’avril dans le dos, il va mettre un rat mort dans ton lit. Et il pense sincèrement que ce qu’il fait est juste.
J’essaye de penser à autre chose, de me convaincre que les fissures au plafond, les traces d’anciens posters sur les murs, et même le bruit de la télé dans la pièce d’à côté sont plus importants. Plus importants que les battements de mon cœur qui partent en couille, que mon envie de tout casser. Plus importants que Vincent qui attrape une bande dessinée qui dépasse de mon sac et menace de la brûler avec un briquet.
Il finit par s’arrêter quand il s’aperçoit que ma tête reste dans mes mains et que je ne trouve pas la force de la relever. Il me demande ce que j’ai, et je suis bien incapable de lui répondre, ce qui ne fait que l’inquiéter un peu plus.
Il met la main sur mon épaule et je le repousse avec un geste un peu trop violent. Il se décide alors à mettre le feu à ma bédé.
Je me lève et l’attrape par le col, pour le plaquer contre le mur. Il rit un peu, me demandant si j’ai vu ça dans un film. Puis, réalisant que je ne compte pas le lâcher, il me repousse violemment.
Je fonce la tête la première contre sa poitrine, et il étouffe un cri de douleur, avant de me repousser à nouveau, d’un coup de pied cette fois. Je tente un coup de poing, qu’il esquive. J’ai l’impression que tous les muscles de mon corps ont doublé de volume, mais c’est peut-être dû au fait que Vincent n’est pas très épais.
Je continue maladroitement d’essayer de le frapper, mais il esquive tous mes coups. Il me crie de m’arrêter parce qu’il risque de me défoncer, et je lui hurle de fermer sa putain de gueule. J’arrive finalement à placer un coup de poing, ce qui le met dans une rage folle.
On est pas dans un jeu vidéo. Il est hors de question que je perde face à un mec moins costaud que moi.
D’un coup de pied que je ne vois pas venir, il m’éclate le tibia, avant d’enchaîner par un coup de boule en plein visage. Je m’écroule pour un moment.
-Te relève pas, me supplie-t-il.
Il y a une pointe de pitié dans sa voix, et c’est sans doute pourquoi je n’en fais qu’à ma tête et retourne au front.
Je sais très bien que ce n’est pas vraiment sur Vincent que je tape, mais ce que je ne sais pas, c’est sur qui je tape exactement. Mon adversaire est plus rapide et plus habitué des combats, et après quelques frappes au ventre, il m’étale de nouveau.
-Tu te relèves pas! hurle-t-il.
Sans que je ne m’en rende compte, il a cessé de vouloir me préserver. Je n’arrive pas à m’empêcher de penser que c’est une bonne chose, parce qu’on avance pas si les autres retiennent leurs coups.
J’essaye de choper ses jambes, mais il m’écrase la main d’un coup de talon. Il commence à me donner des coups de pieds, furieusement, et je sens mes côtes se fêler. Il répète «Tu te relèves pas!» en boucle comme un possédé, et je commence à me dire que je l’ai vraiment énervé.
Je finis par arriver à agripper sa jambe et le fais tomber. Il attrape son casque de moto et me donne un coup sur le sommet du crâne. Mon unique avantage dans ce duel c’est que j’ai la tête dure. Malgré la violence du choc, je persiste à taper sur lui de toutes mes forces.
Il met fin à notre affrontement en m’écrasant le casque sur la mâchoire. Je roule sur le côté et prend mon visage dans mes mains, foudroyé, tiraillé par la douleur fulgurante. Mon environnement se brouille et une ombre noire se met à obscurcir ma vision. Le sang remplit ma bouche, et je peine à respirer. J’ai l’impression que si je lâche ma mâchoire elle va tomber.
Vincent se relève et m’observe m’étouffer dans mon propre sang. Je crache un bon coup, et remarque qu’une de mes dents part avec le molard.
-Tu te relèves pas, soupire Vincent à bout de force.
Il s’assoit par terre et commence à pleurer silencieusement. Le casque de moto glisse de ses mains et roule quelques secondes sur le sol. Ses yeux fixent le parquet sans osciller, tandis que ma respiration revient peu à peu.
-Je suis dangereux, sanglote-t-il.
Je pousse un éclat de rire, douloureux car mes côtes me font mal. Mais ça ne le réconforte pas vraiment. La vérité c’est que rien ne va jamais mieux, et que je n’arrive pas à encaisser. Je n’aurais jamais dû arrêter de fumer, parce qu’en ce moment la seule souffrance c’est de ne pas avoir de cigarette.

J’attrape le plateau avec les deux kebabs et vais rejoindre Vincent qui s’est installé à l’une des tables du fond de la salle. Il suit d’un œil distrait un match à la télé, et ne se retourne pas vers moi quand je lui mets le plateau sous le nez.
-Je croyais que t’aimais pas le foot?
Il ne répond pas, et commence à manger son kebab en silence. Je jette un œil à la télé qui surplombe la salle. Un joueur hors de lui déverse sa rage sur l’arbitre, mais sans le son je ne comprends pas bien ce qu’ils se disent. Les gens autour de nous semblent passionnés par ce jeu étrange.
Et comme il est hors de question que Vincent et moi parlions de ce qui s’est passé, et qu’il est hors de question que nous ne soyons plus amis, nous regardons ensemble un sport que nous n’aimons pas vraiment en mangeant de la merde.
Les minutes passent, vingt deux connards courent après un ballon pendant que nous avalons du ketchup et de la mayonnaise tiède. Un homme rentre un ballon dans un rectangle de métal, et reçoit des acclamations. Les cris de joie ricochent sur mon ami et moi, qui sommes trop occupés à montrer au monde à quel point nous sommes malheureux.
Les effluves de viande et de cuisiniers puants semblent couper l’appétit à Vincent. Je lui dirais bien d’aller se faire enculer et de me faire un câlin, mais j’ai peur qu’il me traite encore de pédé. Avec un frémissement de sourire, il me laisse ses frites, et je m’empresse de les décimer.
-Il faut que tu fasses quelque chose, finit-il par dire d’un air concerné.
-A propos de quoi?
-Vraiment.
Ses yeux se confrontent aux miens, et les frites que j’engouffre sont une bonne excuse pour me taire. De toute manière je n’ai vraiment aucune réplique choc qui me vient à l’esprit. C’est vrai qu’il faut que je fasse quelque chose, mais ça ne fait jamais plaisir de l’entendre.
Le match de foot prend fin, et Vincent me demande d’accélérer la cadence. Au risque de vomir, je fourre le reste de frites dans ma bouche, et nous sortons de cet enfer dans lequel nous échouons trop souvent.
Le truc c’est qu’on fait toujours les mauvais choix, et qu’on passe notre temps à les rattraper. Lui et moi ne reparlerons jamais de l’affrontement, et j’en écrirai peut-être une nouvelle.
Pour l’instant lui enfile une écharpe, et moi un bonnet, parce que l’automne ne nous fait décidément pas de cadeaux. Je fais des efforts pour ne pas boiter en marchant. Et en nous éloignant du kebab, mon ami me demande si je sais ce qui se passe quand on tape «foutre» dans Google.
-On tombe le site de ta mère, m’informe-t-il.


Notes: - Fin de combat trop abrupte. Faire durer plus.
- Réconciliation peu crédible.

Prochainement: Roger mon nouvel ami

11 novembre 2009

03. Xavier agent litteraire

Xavier est un putain d’enculé de sa mère. J’aurais dû le tuer quand j’en avais l’occasion.
Le téléphone n’en finit pas de sonner, et pourtant je ne décrocherai pas. Jamais. Je mets un point d’honneur à rompre l’engagement débile que j’ai pris avec mon soi-disant agent littéraire.
Mon téléphone cesse de sonner, et j’avale une grande gorgée de café en fixant la page blanche du traitement de texte de mon ordinateur. Je devrais écrire sur du papier comme un vrai écrivain.
Je peux pas écrire quand j’ai rien à dire, c’est pas possible. Il devrait le comprendre et cesser de me harceler. Je devrais pas m’énerver tout seul devant mon ordinateur à cause des délais imposés par ce connard, je devrais aller lire une bande dessinée, ou télécharger une de ces nouvelles séries américaines.
Je reçois un message de Xavier qui dit «Je savais pas que tu préférais juste jouer à l’écrivain». Je lance le téléphone contre le mur, et réalisant la stupidité de mon geste, je me précipite pour le ramasser et vérifier qu’il n’est pas cassé.
Franchement c’est pas une vie. J’ai autre chose à faire que de rester à contempler la page blanche virtuelle sur l’écran de l’ordinateur. C’est même pas impressionnant, une page blanche virtuelle.
Une douleur violente s’empare de mon ventre. J’essaye de l’ignorer, mais bientôt elle m’oblige à m’assoir. C’est pas possible de se mettre dans des états pareils. La douleur grimpe en flèche, et je presse mon estomac de mes deux mains pour tenter de contenir l’alien qui est en train de me bouffer.
Les spasmes me forcent maintenant à m’allonger par terre. Ma respiration s’accélère, et me reprendre paraît de plus en plus difficile. Je hurle «maman» parce qu’après réflexion c’est le seul truc sensé à faire. Mes tripes palpitent et la peau de mon ventre gonfle à vue d’œil.
Je tente péniblement de ramper jusqu’à la fenêtre, espérant avoir encore la force de l’ouvrir et de sauter pour abréger mes souffrances. S’il était là, Vincent dirait que je fais mon cinéma.
La douleur devient si forte que je ne trouve même plus la force de ramper, à peine celle de rouler sur le dos. Une certaine sérénité s’empare immédiatement de moi, car j’ai fini par comprendre ce qui se passe: Je vais exploser.
Je hurle de plus belle, comme un goret qu’on égorge. Pas le temps de faire évacuer l’immeuble, ni de rédiger un testament. Je vais emplir le quartier de tripes en fusion, dans une fulgurante déflagration de stress.
Si seulement je n’avais pas eu cette idée à la con d’accepter d’écrire pour un blog…
Mon ventre cède et le souffle de l’explosion fait voler mon corps en éclats. Mes membres volent aux quatre coins de la pièce, et ma tête est projetée si violemment contre le mur qu’elle le transperce. C’est juste avant que le souffle de l’explosion ne balaie l’appartement.
Dans la rue, un passant observe d’un œil circonspect mon immeuble se disperser en un feu d’artifice de briques, et ça lui rappelle les bouses de vaches qu’il faisait exploser avec des pétards étant enfant, mais en plus grand.
Putain de bouseux.

Je monte péniblement les escaliers, trempé par la pluie diluvienne qui s’abat dans la rue, et qui m’est tombé dessus juste pour me faire chier. Je récupère douloureusement depuis mon explosion, et chaque goutte qui s’est aplatie sur moi aura été un coup de marteau pour m’enfoncer un peu plus dans le trottoir. Mais maintenant je suis à l’abri.
Je frappe à la porte, et Xavier vient m’ouvrir.
-Je venais voir Vincent, dis-je.
Il sourit en m’annonçant que j’ai une sale gueule, avant de me faire rentrer. Je lui demande un café, et il me répond que je peux m’en faire un si j’ai le courage de toucher au paquet qui traîne sur l’étagère depuis deux ans. Je m’affale dans le canapé, tentant d’attirer l’attention ou la pitié. Xavier, lui, s’assoit à son ordinateur et se met à surfer sur internet, apparemment à la recherche du dernier épisode de son manga du moment.
Je soupire fort mais il fait mine de ne pas m’entendre. J’attrape une bande dessinée et tente de me concentrer pour la lire, en vain. Et puis je suis pas venu pour ça.
-Au fait, dis-je en tentant de paraître détendu, je crois pas que je vais te rendre de texte cette semaine.
-C’est pas grave, répond-il, je comptais mettre un extrait de ton bouquin…
Il me lance un paquet de feuilles agrafées, et je reconnais l’extrait dès la première ligne:
" ...Floyd fit une chute vertigineuse d’environ huit étages. La tempête de neige le fit dévier, et il atterrit sur le toit de la rue d’en face. La violence du choc lui cassa les deux jambes. Il roula sur quelques mètres, avant d’aller s’écraser contre un mur de briques.
S’il avait été totalement humain, il serait certainement mort sur le coup.
Le corps meurtri, il resta ainsi une bonne heure à contempler les flocons se disperser sur cette ville qui avait eu sa peau. Son monde se changeait en coton, et plus les minutes passaient, plus il abandonnait l’espoir de se relever un jour pour se venger de l’infâme Wolfgang.
Les flocons étaient maintenant des étoiles filantes, et la vie folle passait bien trop vite pour le pauvre Floyd, lorsqu’un visage connu se pencha au dessus de lui.
-Helena de Suza, murmura-t-il.
La jeune femme lui sourit, et passa sa main sur le visage du malheureux.
-Je vous aime, confia-t-il. Je vous ai aimé depuis le premier jour, même si pour le cacher j’ai tenté de vous vendre à Wolfgang. Maintenant toute la ville est à mes trousses, et je n’ai plus rien à vous offrir, sauf une vieille Cadillac blanche garée au bas de l’immeuble. Je veux dire… Je sais que je ne suis pas le plus honnête des hommes, mais putain, je n’ai jamais voulu vous faire du mal, et vu le monde dans lequel on vit je trouve que c’est un bon début. Je vous promets pas le bonheur, mais dès que je pourrai me lever je vous emmènerai ailleurs, et vous serez un peu moins triste, ça je vous le promets.
Une rafale de mitrailleuse coupa net son discours. Un hélicoptère de combat approchait de l’immeuble dans un fracas d’enfer. L’engin était peint de jaune et de rouge, des couleurs qui étaient hélas bien trop familières à Floyd.
-Wolfgang! sursauta Helena de Suza."

Je regarde Xavier, en lui montrant les feuilles que je tiens en main.
-Enculé de ta mère, dis-je d’une voix blanche, tu peux pas mettre ça sur internet.
Terrifié, ne sachant sans doute plus ce que je fais, je jette les feuilles à la gueule de mon ami. Il me jette la souris de l’ordinateur, et je me réfugie derrière de canapé pour éviter un boitier de disque lancé comme un freesbe. J’attrape une chaussure qui traîne et vise Xavier avec, mais manque mon coup.
-Tu sais pourtant très bien que tu sais pas viser, se moque-t-il.
Je lui demande des parlementassions et il me rappelle que je ne suis pas en position de force. Je lui réponds que je pourrais tout à fait mettre le feu à son appartement.
-Avec quel briquet? T’as arrêté de fumer. Tu as encore deux jours.

Les vagues apportent des nouvelles de la mer, plus ou moins fameuses. Le vent fait voler mon écharpe, et onduler mes vêtements. Me pieds se fondent avec le sable, et toute trace de mon passage sera bientôt recouverte par la marée.
C’est pas la méditerranée de pédé. C’est une mer agitée de vagues grises et vertes. C’est le froid et les bateaux qui peinent vraiment à la tâche. C’est un des endroits que je préfère au monde.
Mes chaussures s’enfoncent un peu plus dans le sable humide à chaque pas que je fais. Un char à voile arrive vers moi à toute vitesse, et je n’y prête pas attention. J’avais tort de vouloir écrire, et je pense que je vais passer ma vie ici.
Le char à voile manque de me rentrer dedans, et je lui hurle des insanités. Il tente de faire demi-tour et se renverse, ce qui me fait rire jusqu’à ce que je reconnaisse le conducteur accidenté.
Je sais pas ce qui a fait penser à Xavier que ce serait facile de conduire ce truc. Je l’aide à se relever, et il râle au sujet de la caution qu’il a laissée pour le char. Je lui demande comment il m’a trouvé.
-Satellite espion, répond-il en marmonnant.
-Sérieux?
-Mais non, pauvre con, j’ai appelé ta mère.
Je tire sur mes jambes pour décoller mes pieds du sable boueux. C’est un choix que j’ai fait. J’aurais très bien pu rester collé ici quelques heures de plus.
Xavier et moi nous mettons en route vers le parking au loin. Je lui demande s’il est venu me chercher parce qu’il est secrètement amoureux de moi, et il me répond que je prends mes désirs pour des réalités.
Il me tend un paquet de feuilles imprimées que je reconnais à une phrase surlignée en jaune: «Floyd décida de se mesurer au monde». Je déchire les feuilles en deux et les jette en direction de a mer, dans un geste que je veux romantique et désespéré. Mais le vent souffle dans le mauvais sens, et elles me reviennent en pleine figure, avant d’aller effectuer une danse folle sur le sable.
-J’ai écrit un bouquin de merde, dis-je.
-Il est pas si merdique, corrige Xavier. Et puis c’est pas grave.
Il ajoute que ma mère nous invite à manger. Nous continuons notre route jusqu’à la voiture, agressés par un froid polaire et la certitude de ne pas être invincibles.


Note: Idée du char à voile complètement débile.

Prochainement: Vincent me casse la gueule.

02. Vincent contre les zoulous mutants du Cambodge

Vincent se roule en boule sur le dos et pousse des petits cris suraigus en direction du plafond. Ses petits bras sont agités de spasmes et ses doigts forment des griffes. Il bouge dans tous les sens, vérifiant de temps à autre que je le regarde toujours, et que son manège me fait toujours rire. A vrai dire il en fait un peu trop.
-Mais putain, hurle-t-il, tu préfères Xavier à moi!
-Mais non.
Xavier fait comme s’il ne se trouvait pas dans la pièce avec nous. Il écrit consciencieusement un e-mail d’insultes à son banquier.
Vincent me reproche d’être plus inspiré par Xavier pour écrire. Je soupire en l’écoutant répéter «tu m’aimes pas» d’un air plaintif. Je lui réponds qu’il se trompe.
-Non mec, persiste-t-il, tu m’aimes pas.
-Mais si, je…
-Tu quoi?
-Enfin, tu sais bien…
-Non, je sais pas.
-Je t’aime, pauvre connard! Voilà, t’es content?
Il recommence à se rouler en boule en rabâchant que je préfère Xavier et que je suis un enculé. Je lui rétorque que si j’écris sur Xavier, c’est pour dire que je le déteste.
-N’empêche qu’à tes yeux, je suis pas un mec intéressant, boude-t-il.
Xavier me demande de corriger l’orthographe de son message avant qu’il ne l’envoie. Pendant que je relis le tissu d’insanités qu’il vient de taper, il me demande quand je compte me remettre à écrire.
Il faudrait que j’arrête de dire aux autres que je veux devenir écrivain. Je pourrais simplement leur faire la surprise de leur montrer des romans que j’ai écrits lorsqu’ils sont finis. Je pourrais prétendre que j’en ai rien à foutre, et faire carrière à la Fnac. Le problème avec la vie d’adulte, c’est qu’elle est livrée sans mode d’emploi.
La pluie tombe contre la fenêtre, nous rappelant que l’automne arrive et qu’il va nous mettre à terre. Il faudrait faire front mais les jeux vidéos nous prennent beaucoup de temps.
Je demande à Vincent quelle genre d’histoire il est sensé m’inspirer, et je vois son visage s’illuminer. En triturant sa moustache, il commence à parler des aventures d’un mec beau, riche, et intelligent, avec une femme superbe, qui gagne toujours au casino et reverse l’argent aux pauvres.
-C’est pas super intéressant, dis-je.
Je demande à Xavier s’il est bien sûr de vouloir envoyer le mail, et il me conseille de ne pas être aussi pédé si je veux faire quelque chose de ma vie.
-Alors parle de ma bataille contre les zoulous, insiste Vincent.
-Quels zoulous?
-Les zoulous mutants.
-Les quoi?
Ses yeux projettent des étoiles. Je m’attendrais presque à l’entendre crier «Eurêka», puis à réclamer un prix Nobel de littérature. Il me fait signe d’être bien attentif à ses paroles, avant de déclamer:
-Les zoulous mutants du Cambodge.
-Vincent, dis-je en grinçant des dents, les zoulous habitent en…
«Vincent contre les zoulous mutants du Cambodge» murmure-t-il pour lui-même. Il hoche la tête comme pour se confirmer qu’il est parfaitement d’accord avec ce qu’il vient de dire.

-Mec, tu veux pas acheter des pop corns?
Je lui réponds que non droit dans les yeux, et m’aperçois en examinant son visage que sa barbe a tellement poussé qu’elle camoufle complètement sa moustache. Je lui annonce que je n’ai pas faim en retirant nos tickets à la borne automatique. Mais c’est mal connaître Vincent: Il ne s’avoue pas vaincu et me supplie d’acheter les fameux pop corns, avançant que ca donne un petit côté rétro au film qu’on va voir, qu’il ne fera pas de bruit en mangeant, et qu’il me rendra l’argent plus tard. Je me demande s’il se roulait par terre étant petit.
Je lui donne ma carte bancaire et vais l’attendre dans la salle, en lui rappelant qu’on est déjà en retard. Quelques minutes plus tard, il me rejoint avec ses victuailles et se moque de mon empressement puisque le film n’a pas commencé.
-J’aime pas rater les bandes annonces, dis-je en grognant.
-On s’en fout des bandes annonces, se moque-t-il.
Il s’assoit et commence à faire des commentaires sur les publicités à l’écran, tout en piochant dans ses pop corns. Je lui fais remarquer qu’il fait un peu de bruit en mangeant et il me traite de pédé.
-Au fait, me rappelle-t-il, t’en es où de mes aventures avec les zoulous?
-Je crois pas que je vais les écrire.
Il s’énerve et râle à voix assez haute pour que nos voisins de derrière nous entendent. Il me reproche de vouloir le priver d’un truc qui ne me prendrait que quelques heures. Puis il me fait son sourire de Vincent, qui veut dire «je t’en supplie», et je lui demande pourquoi c’est aussi important pour lui.
-Parce que c’est cool, répond-il, d’avoir quelqu’un qui écrit sur toi. Il voit des trucs que tu remarques pas à propos de toi-même, tout ça...
Je lui fais signe de se taire car le film commence. Alors que les logos des majors américaines défilent devant nous, il se sent obligé de rajouter:
-Et puis parce que j’aime qu’on parle de moi.
-Ta gueule.

«…Les larmes aux yeux, Vincent pensa que ces zoulous mutants étaient décidément increvables. Il se résolut à en emporter le plus possible avec lui dans la mort. Se dressant sur ses jambes, il passa la tête hors de son abri de fortune, et cria aux zoulous de venir se mesurer à lui si seulement ils l’osaient.
Ces derniers ne se firent pas prier, et se ruèrent sur notre héros avec des cris de guerre qui le firent frissonner. Les combattants s’abattirent sur lui avec la violence sourde d’un ouragan. Il tira plusieurs balles sur les zoulous et en blessa plusieurs. Il crut même en tuer un qui avait l’air un peu chétif, mais sa nature de mutant le remit bientôt sur pied.
«Je dois les entrainer loin des villageois» pensa-t-il, en se dégageant de l’emprise d’un zoulou qui tentait de lui arracher la tête à mains nues. Vincent commença alors à courir parmi les champs inondés, chacun de ses pas s’enfonçant un peu plus dans l’eau. Des bœufs l’observaient passer d’un regard éteint en mâchant ce qui semblait être des algues.
Ce jour là, le Cambodge vit passer à toute allure un brave poursuivi par une horde de guerriers ancestraux génétiquement améliorés. Hors d’haleine, Vincent peinait de plus en plus à courir et l’eau, qui lui arrivait maintenant à mi-cuisses, ne lui facilitait pas la tâche. Les zoulous lancés à sa poursuite gagnaient peu à peu du terrain.
Il inspecta le barillet de son revolver et n’y trouva qu’une balle. Il songea qu’il était peut-être préférable de mourir de sa propre main plutôt que de celle d’un zoulou mutant du Cambodge.
Les larmes ruisselaient maintenant sur ses joues, tandis que de sa voix aigue il fredonnait une chanson de Sinatra pour se donner du courage, et tenter d’oublier que les chants guerriers de ses adversaires prenaient la dimension de la vallée.
Il n’y avait plus de monde extérieur, de pays, de planètes. Il n’y avait que la vallée humide et les bœufs placides qui assistaient à sa chute. Il n’y avait que le canon froid du revolver contre sa tempe qui palpitait, et l’armée de zoulous mutants qui achevait sa course folle.
Il passa la main sur sa moustache, et essuya les larmes de ses joues. Il s’échappa de la vallée un instant, pour goûter aux vapeurs d’opium de Singapour et aux femmes caractérielles de Mexico. La lumière orangée de la fin du jour révélait des nuées de moustiques à la surface de l’eau, et enflammait les nénuphars. Il se demanda pourquoi le crépuscule avait cette beauté sauvage à ses yeux, et pourquoi Sinatra l’accompagnait toujours dans les moments difficiles.
Il pressa la détente, et sa tête devint un feu d’artifice qui fit trembler la vallée, abandonnant le reste de son corps à une eau sombre recouverte de plantes étranges. Les zoulous ne purent jamais retrouver sa trace.»

Xavier relève les yeux de l’ordinateur et me fixe comme s’il me rencontrait pour la première fois. Il me dévisage longuement, semblant chercher une réponse dans mon regard.
-J’ai rarement lu un truc aussi stupide, finit-il par dire.
Le ton de sa voix est plutôt triste, et je le sens sincèrement désolé pour moi. Je m’allonge sur le canapé et fixe le plafond, me concentrant pour m’envoler et passer à travers. Vincent, qui n’a pas décroché un mot depuis qu’il a lu ce que j’ai écrit, s’installe à l’ordinateur dès que Xavier se lève, et commence à surfer sur internet.
-Ca dit rien sur moi, marmonne-t-il.
Xavier lui répond que à la limite le plus grave c’est que j’écrive de la merde. Le plafond n’est qu’à quelques mètres et déjà je sens la gravité s’inverser. Les lois de la physique je les baise, et mon corps s’élève lentement vers cette sortie improbable. Je suis à peine tangible, et en forçant un peu je devrais arriver à passer au travers.
C’est pas grave que ça ne dise rien sur mon pote, ce que j’écris. C’est lui. Il court à toute vitesse pour essayer de semer ses poursuivants, et serait capable de leur montrer ses fesses pour les énerver un peu plus.
Vincent me dit que je ne vis pas dans le monde réel. De mon point de vue, c’est lui qui vit dans un monde de zoulous mutants. Et il se débat courageusement.


Note: Rajouter scène où il montre ses fesses aux zoulous.

Prochainement: Xavier agent littéraire
 
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